Chili

San Pedro de Atacama, la vie du vide

San Pedro de Atacama, la vie du vide

Plaqué sous le ciel infiniment bleu à 2 500 mètres d’altitude, ce village de l’Atacama (Chili) ouvre les portes d’un vaste désert. Il se dit que cette région est la plus aride du globe. Au premier regard, elle frappe d’abord par sa pureté. Celle de l’air, du ciel et de la pierre. Initiale, initiatique peut-être.

 

L’exception comme les émotions qu’elle promet, se méritent. Lorsqu’on vient de France, une journée complète de voyage, c’est le minimum, est nécessaire pour enfin débarquer à San Pedro de Atacama. On s’avoue alors sérieusement chiffonné mais déjà ébahi par ce plateau dessiné par et pour des géants, bordé de sommets enneigés qui culminent autour de 6 000 mètres d’altitude (volcan Licancabur), brulé d’un soleil qui coule le plomb, ébloui par l’éclat des roches piquées de cristaux de sel. Magnifique de vide et en même temps comblé d’essentiel : le silence, l’absence -ou presque- de végétation comme de vie animale à quelques vigognes et lamas égarés, les perspectives qui filent jusqu’au bout de l’horizon, le regard qui se perd dans l’immensité, l’ivresse de l’altitude à faire vibrer les sens, la promesse de se sentir libre, loin, très loin du monde ordinaire.

 

Sur le toit du monde

A 14 000 kilomètres de Paris, 1 600 au nord de Santiago du Chili et 98 de Calama, dernier aéroport d’accès avant une route rectiligne qui passe en revue mines géantes à ciel ouvert, plateaux de pierraille et pistes de poussière, voici le dernier refuge des hommes, un village de 5 000 âmes, étoile du tourisme lunaire, de la transcendance qu’offrirait le toit du monde, des sagesses du vide autant que du rien, bref, de l’essentiel.

Dans la bourgade aux petites maisons d’adobe (mélange de boue et de paille compressé en briquettes) impeccablement chaulées de blanc, aux ruelles de terre, prière de faire la pause et de prendre ses marques en douceur. Le souffle est vite court à 2 438 mètres d’altitude et les hôtels, de l’auberge simplissime au palais vertueusement étoilé, ont l’habitude de chouchouter les époumonés comme ceux qui, cœur cognant fort et bourdonnement dans la tête, subissent les méfaits de l’altitude, le « mal de puna ». Un verre de mate de coca effacera toutes les défaillances.

belle vue de san pedro de atacama

Heiko Meyer/LAIF-REA

Ici, pas de chichi. Dans la rue principale, la calle Caracoles, on partage volontiers la table, la discussion et les bons plans. Sac à dos ou valise griffée, qu’importe puisqu’on vibre d’une même passion, celle de la découverte d’un royaume unique au monde. Frisquet au petit matin, torride dès midi, glacial quand tombe la nuit, il promet le monde brut, réduit aux éléments, la pierre, le ciel, le vent, le feu des volcans qui barrent l’horizon de leur cône blanc. Pour la fantaisie, prière de voir ailleurs. Pas étonnant que des communautés mystiques (essentiellement américaines) soient venues installer leur campement et leur adoration du soleil dans la région. Elles ont vite été découragées par des conditions climatiques peu conciliantes envers qui se pense plus malin que la Nature.

 

Un supplice ailleurs, le paradis ici

Dommage pour eux, San Pedro révèle tant de charme qu’on s’y blottit volontiers quelques jours durant. Au programme, une belle ambiance d’abord, sorte de rappel des douceurs hippies telles qu’on les cultive à Ibiza mais siglées de godasses high-tech, de maillots conçus pour un titre olympique et de lunettes à 300 euros la paire. Immédiatement sans autre façon que le à tu et à toi, on partage la table autour d’une Escudo ou d’une Austral, les bières chiliennes, histoire d’échanger ses extases du jour, l’aventure du lendemain, son bonheur de tracer sur les pistes du néant, caillasse, poussière, ciel trop pur, aveuglant. Un supplice ailleurs, le paradis ici. Voilà qui fera des souvenirs pour la vie.

La petite église de San Pedro capte à son tour l’émotion. C’est simple, on la dirait dessinée pour le tournage d’un prochain western. Erreur. Ses murs d’adobe, sa charpente en bois de cactus et de caroubier, ont été élevés par les Espagnols en 1641. Depuis, elle patiente sous le soleil entre deux prières et autant de ferveurs qu’inspire sont intimité. Juste à côté, voici un mignon marché indien. Les écharpes, bonnets et pulls en alpaca font fureur aux côtés d’un artisanat indien, sans vrai talent mais absolument charmant et siglé San Pedro ! Excellent pour les cadeaux du retour.

 

VTT, cheval, 4X4

Une dernière pause pour refaire le monde dans un bistrot de la rue Caracoles, et voici venu l’heure d’explorer des environs grands comme le monde. Chacun son style. VTT, cheval, 4X4 tout confort, voire mollet aguerri, toutes les formules sont à l’affiche. Seule recommandation : la présence d’un guide capable de décrypter ce plateau et ces chemins d’un autre monde, avec promesse de ramener chacun au bercail, pourboire accepté. Car on s’égare facilement dans ces univers dont les seuls repères sont un pic enneigé, un mirage toujours fuyant, un canyon torturé, un nuage de poussière.

valle de la luna san pedro de atacama

Jéromine Derigny/Argos/Picturetank

Au menu du séjour, la vallée de la Lune, vaste désert de roches aux silhouettes fantomatiques, la vallée de la Mort réputée pour ses dunes sur lesquelles on pratique le surf des sables, le salar de Aguas calientes avec ses extraordinaires tableaux minéraux qui jouent du carmin, ocre, violine… Sans oublier, évidemment, le salar de Atacama, la star de l’aventure. Ce royaume de sel couvre un espace de 160 kilomètres de long sur 130 de large percé de points d’eau parfois turquoise bordés de croutes blanche et comme miraculeusement peuplés de flamants roses. Sur ce tapis éclatant de blanc posé à 4 320 mètres de hauteur percent les geysers de Tatio, une soixantaine, qui jaillissent à 85°C ! Miracle, certains bassins recueillent l’eau qui passe à bonne température pour permettre la trempette. L’image tournera vite sur les réseaux sociaux.

 

Les grillages capteurs d’eau

Dans un tout autre genre, une curiosité attire tous les fans de l’espace et ses mystères. ALMA, station internationale d’observation du ciel, est le plus grand réseau de télescopes du monde. Quelque 66 miroirs géants et antennes sont installés à 5 000 mètres d’altitude pour observer tranquillement les étoiles autant que les trous noirs. La région est en effet désignée comme étant celle qui bénéficie du ciel le plus clair de la planète. Les astronomes regardent vivre les étoiles, mourir aussi, tout en scrutant les planètes susceptibles d’abriter la vie. Les extra-terrestres sont priés de se manifester. Pour la visite, il faut se contenter du QG de l’installation, situé plus bas, où crépitent les ordinateurs et scintillent les écrans qui recueillent les informations captées chaque nuit par les grandes oreilles. Passionnant.

Ultime curiosité à découvrir en cours d’excursion lorsque pointe un pueblo sur le bord de la piste, les capteurs d’eau. Il s’agit de grillages tendus verticalement au bord du potager. Puisqu’en Atacama, une bonne décennie peut séparer deux averses (certains sites sont arrosés deux fois par siècle !), les habitants ont l’ingénieuse idée de recueillir ainsi le peu d’eau que leur offre la rosée du matin et ses brouillards créés par la différence de température entre le sol et l’air glacé. Mille gouttelettes restent alors suspendues sur le croisillon des grillages avant de tomber dans la rigole avant de filer vers la rangée de salades ou de haricots. Illustration de l’ingéniosité par laquelle les hommes composent avec la nature. Hostile ? Même pas peur semblent dire ces fils d’Atacamènes, présents ici depuis plus de 10 000 ans. A regarder le paysage qui les entoure, on comprend qu’ils font bien peu de cas du temps. En Atacama, il glisse sur les chaos de pierre, sur les champs de cactus et de broussailles, entre cône volcanique et tapis de sel. On dirait qu’il est déjà figé dans l’éternité.

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture

MANUELLE AUGEREAU