Ville éternelle mais aussi ville d’eau, la capitale italienne ne compte pas moins de 2 000 fontaines ! Cinégéniques ou porte-bonheurs, nombre d’entre elles racontent aussi un pan de l’histoire romaine.
Dans La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino (2013), l’intrigue se noue autour du personnage de Jep Gambardella, critique d’art mondain, séducteur et désabusé. Mais la poésie du film tient autant à l’histoire qu’à son décor : Rome. La ville, personnage à part entière, y apparaît au premier plan – des rives du Tibre au pont Mazzini, d’un palazzo éclairé au chandelier en ruelles désertées, de la grandeur du Colisée à la ritournelle des fontaines… Le film s’ouvre d’ailleurs sur un travelling solaire de la Fontana dell’Acqua Paola, via Garibaldi. Elle est l’une des 300 fontaines monuments de la ville – chiffre qui grimpe jusqu’à 2 000 si l’on compte les points d’eau plus modestes, en fonte, créés pour étancher la soif des citadins. C’est aux Romains de l’Antiquité - que les eaux du Tibre ne suffisaient pas à rafraîchir - que revient l’idée d’installer des fontaines. Plus de trois siècles avant J.-C., l’homme d’État Appius Claudius Caecus construit le premier aqueduc qui amène à Rome les eaux de sources situées au-delà de ses murs. Suit la mise en place d’un réseau d’aqueducs, puis des fontaines, pour finir d’acheminer l’eau aux habitants. L’histoire de la ville s’écrit ainsi au fil des fontaines – et l’on marche de l’une à l’autre, cherchant la fraîcheur de la bruine. Cap sur la place de la République, au nord de la Gare Termini. La fontaine des Naïades y a été construite en 1914 par l’architecte Mario Rutelli. Au centre, une statue de Glaucos, fils de Poséidon semblant surgir des eaux. L’image est forte mais c’est aux quatre nymphes (celle des fleuves, l’autre des lacs, la troisième des océans et enfin celle des eaux souterraines) qui ornent le bassin érigé à la gloire de l’eau que l’on doit le nom de la fontaine.
Jérôme Galland
Symboles et allégories
Toute proche, dans le prolongement de via Vittorio Emanuele Orlando, voici la monumentale fontaine dell’Acqua Felice (1585). L’édifice est une commande du pape Sixte V. Chacune de ses trois arches de pierre rappelle un épisode biblique. Plus loin, au carrefour de la via del Quirinale et de la via delle Quattro Fontane, une curiosité apparaît. Ce sont les Quattro Fontane, une fontaine qui est en fait… quatre fontaines, stratégiquement incrustées dans les bâtiments aux quatre coins du carrefour, pour ne pas gêner la circulation. Les hommes, allégories des fleuves du Tibre et de l’Arno d’un côté ; les femmes, représentations des déesses Junon et Diane, symboles de force et de fidélité, de l’autre. Autre fontaine iconique de la ville, la baroque fontana Barcaccia surprend. Elle trône sur la place d’Espagne face à l’escalier grandiose (174 marches !) qui conduit à l’église de la Trinité-des-Monts. Sa construction a été confiée par le pape Urbain VIII au père de Gian Lorenzo Bernini, Pietro Bernini, entre 1627 et 1629. Au sujet de sa forme, celle d’une barque qui a pris l’eau, deux thèses s’opposent. Selon la première, la sculpture aurait été érigée en mémoire d’un bateau retrouvé à cet endroit précis, lors de l’une des crues dévastatrices du Tibre. La seconde explication évoque une construction en mémoire des inondations de Rome. En 1598, l’une d’entre elles obligea le pape Clément VIII à traverser la place en barque. Les courbes baroques du bateau apparaissent sur grand écran en 1999, dans Le Talentueux Mr. Ripley, avec les acteurs Matt Damon et Jude Law.
Jérôme Galland
Trevi : de Vacances romaines à La Dolce Vita
Et s’il ne devait rester qu’une fontaine à Rome, qui incarne la ville et déplace les foules ? Ce serait la fontaine de Trevi. Il faut aller au-delà des foules pour en mesurer la beauté : très tôt, ou au crépuscule, quand tous sont partis après avoir pris une photo et jeté une pièce dans le bassin, honorant la tradition et promettant de revenir. Avant de devenir la fontaine la plus mythique de Rome, la fontaine de Trevi était à l’origine une petite fontaine qui accueillait les eaux de l’Aqua Virgo ou Aqua Vergine grâce à un aqueduc construit du temps de l’empereur Octave-Auguste, par Agrippa, en 19 avant J.-C. Elle permettait d’alimenter en eau le quartier. C’est le pape Urbain VIII qui initia la construction d’une grande fontaine en faisant appel à Bernini (Le Bernin). Mais à la mort du pape, le projet fut abandonné. Il aura fallu attendre le XVIIIème siècle, ainsi que l’intervention du pape Clément XII et de l’architecte Nicolo Salvi pour en faire, de 1732 à 1751, le monument immense que l’on connaît. En son milieu trône le dieu Neptune entouré de chevaux marins et de deux autres statues, allégories de la Bonté et de l’Abondance. Aux cinéphiles, l’image de la fontaine de Trevi en fait surgir une autre : celle d’Anita Ekberg s’y glissant tout habillée au clair de lune, face à un Marcello Mastroianni charmé. Cette scène iconique de La Dolce Vita de Fellini (1960) achève d’affirmer le potentiel romantique de la fontaine. En 1953, un autre fi lm prenait la fontaine de Trevi pour témoin : Vacances romaines, où Gregory Peck et Audrey Hepburn se rapprochent devant la Bocca della Verità, la Bouche de la Vérité.
Jérôme Galland
La balade au fil des fontaines romaines se termine sur la grandiose place Navone, décorée de trois d’entre elles. La fontaine du Maure, la Fontaine de Neptune et, la plus emblématique, la fontaine des Quatre-Fleuves (Fontana dei Quattro Fumi). Construite en 1648, elle est aussi connue sous le nom de fontaine des Quatre-Continents - l’Océanie n’ayant pas encore été découverte. Aux angles, les élèves du Bernin ont placé des statues, allégories des quatre fleuves représentant chacun les quatre continents : le Nil pour l’Afrique, le Danube pour l’Europe, le Gange pour l’Asie et le Rio de la Plata pour l’Amérique. Si, d’après l’adage, tous les chemins mènent à Rome, les fontaines de la Ville éternelle dépassent largement les frontières de l’Italie pour s’ouvrir sur le monde, entraînant avec elles les âmes voyageuses.
Lloyd Ziff/Gallery Stock
Sources de curiosités
Aux fontaines classiques de Rome, ajouter celles que l’histoire n’a pas retenues. La fontaine des Tortues, de l’architecte Giacomo della Porta, à la fin de la Renaissance, est attachée à une légende. Le duc Mattei, ruiné aux jeux, ne pouvait plus épouser sa promise. Pour prouver sa valeur à son futur beau-père réticent, il fit ériger la fontaine en une nuit. Au nombre des curiosités, il faut aussi compter la fontaine des Livres, proche de la place Navone. Les livres et l’eau ? Drôle d’association. Sa proximité avec l’université Sant’Ivo alla Sapienza peut-être… Enfin, la fontaine del Babuino (1576) représente un silène, être mythologique prenant la forme d’un vieillard réputé pour son ivresse et sa laideur. Elle est surnommée “le Babouin” et est l’une des six “statues parlantes” de Rome - ces statues sur lesquelles les Romains avaient coutume de placarder des critiques et satires à l’encontre du gouvernement. Un espace d’expression où la pierre, recouverte de feuillets, devient support.
Photographie de couverture
RHIANNON TAYLOR