Italie

Découvrir la Toscane

Découvrir la Toscane

Les lignes des palais, des cathédrales et des couvents, les fresques de Paolo Uccello. Les courbes de Botticelli, les silhouettes effilées des cyprès, le tracé d’une route qui ondule à flanc de colline… Une plénitude esthétique, des villes aux campagnes.

 

Le syndrome de Florence

Dans le cloître du couvent dominicain Santa Maria Novella de Florence, la fresque du Déluge de Paolo Uccello. À gauche, le déluge et les hommes s’entretuant pour une place sur l’arche; à droite, après que la mer s’est retirée découvrant son lot de noyés, Noé recevant le rameau d’olivier de la colombe. Du Déluge, c’est l’une des premières représentations, qui annonce la disparition d’un ordre ancien, celui du monde médiéval, et le basculement vers une ère nouvelle – une révolution politique et intellectuelle, soutenue par des banquiers et mécènes, dont l’épicentre fut Florence. Aujourd’hui, la ville transporte encore le voyageur dans la Renaissance.

Dans la cité des Médicis, tout est admirable : palais, églises, villas, jardins. Derrière chaque porte, des œuvres célèbrissimes ou oubliées, signées Botticelli, Léonard de Vinci, Paolo Uccello, Fra Angelico, Raphaël, Titien… Un trop-plein de beauté qui fit s’évanouir Stendhal (forgeant le syndrome du même nom) : visitant la ville en 1817, l’auteur de La Chartreuse de Parme et des Voyages en Italie aurait été pris d’un malaise : “Je marchais avec crainte de tomber…” Une profusion qui fait tourner la tête et aimante les foules. Il faut patienter jusqu’à la fin d’interminables séances de selfies pour approcher le Duomo ou le Ponte Vecchio. Alors on prend le large : une rue suffit pour arpenter une Florence plus confidentielle.

Dans la basilique Santa Croce, miraculeusement épargnée de l’affluence, où Dante, Galilée, Machiavel et Michel-Ange sont enterrés, pléthore de fresques de Giotto, Cimabue, et Brunelleschi… On franchit le fleuve Arno pour rejoindre l’Oltrarno, populaire et industrieux – l’embourgeoisement le guette, mais les ateliers résistent –, et le palais Pitti, imposante demeure des Médicis du XVe siècle (la gentrification ne date pas d’hier). Le marché à la brocante de la place de Santo Spirito, les bars à vin de la rue San Niccolò où l’on savoure un aperitivo en fin de journée sont des brèches ouvertes sur la douceur de vivre florentine.

 

Du Chianti aux fresques d’Arezzo

Suivant les Florentins dans leur exode estival – déjà de tradition chez les Médicis, qui inventèrent la villegiatura et ses plaisirs –, on file dans le Chianti. Les murets de pierre délimitent les carrés de vignes aux reflets bleus : des vignobles épars, comme en sursis, qui résistent face à une forêt qui semble vouloir reprendre ses droits, mais défendus par d’imposants châteaux hérités des guerres entre Florence et Sienne, qui se sont disputés ce territoire des siècles durant. Puis, on rejoint Arezzo, ancienne cité étrusque.

Si Stendhal disait d’elle qu’elle n’avait pas changé depuis Dante, Arezzo, bien que son cœur demeure médiéval et Renaissance, a changé depuis Stendhal. Le Corso Italia, la rue principale, mène à la Piazza Grande, à laquelle son petit air penché donne un charme fou. Il fait bon déjeuner sous ses arcades ombragées, panzanella et tagliatelles à la truffe. Et dans l’abside de l’église San Francesco, sur les fresques du peintre et mathématicien du Quattrocento Piero della Francesca, la douleur dans le regard des hommes chassés du paradis terrestre continue d’émouvoir six siècles plus tard.

 

Rhiannon Taylor

 

“Sienne en son plan est immuable…”

En route pour Sienne, au gré des lacets de la route, à travers une campagne dessinée de fausses perspectives : sillons de vignes et alignements de cyprès. Préservée de la modernité, la ville est restée figée dans le XIIIe siècle. “Sienne en son plan est immuable, écrit André Suarès, l’auteur du Voyage du condottière (1932). On n’y peut rien changer, ou il faut la détruire.”

Cernée par l’argent des oliveraies, à l’ombre de ses murailles, la ville enroule le dédale de ses ruelles autour de ses palais gothiques, qui dévalent de leurs trois collines vers le Campo. La place en coquille, à la courbe parfaite, est ouverte sur la course des nuages. C’est là que chaque été, depuis 1650, se tient le Palio, fulgurante course de chevaux qui fait s’opposer les contrades, communautés d’entraide administrant les quartiers de Sienne, au nombre de dix-sept, et aujourd’hui aussi vivaces qu’à leur création, à la fin du XIIIe siècle. Aigle contre Panthère, Licorne contre Chouette, Escargot contre Tortue : la compétition, loin du folklore, défie les époques.

On suit encore un peu plus loin le balancement des oliviers. Ses collines sont icônes de la Renaissance, ponctuées de cyprès, solitaires ou alignés en ruban, signant le tracé d’un chemin rocailleux. Le Val d’Orcia a été célébré par les peintres de l’école de Sienne comme le paysage où vivre en harmonie avec la nature. On comprend pourquoi : c’est un coin d’Italie à la beauté rare.

Les villes ne sont pas en reste, qui gardent la marque d’un passé qui les a hérissées de prétentions.

 

Montepulciano et Montalcino : une certaine idée du bonheur

Truffé de palais et d’églises, dont en contrebas la Madonna di San Biagio, splendide édifice baroque posé en pleine campagne, Montepulciano subjugue et enchante. Savourer un café sur la Piazza Grande, au Caffè Poliziano, autrefois fréquenté par Federico Fellini : une certaine idée du bonheur. On y passerait volontiers une saison entière, assis à contempler la quintessence de l’architecture toscane.

Sur la colline d’en face, à Montalcino, chaque chose semble être à sa place. Le village s’accroche à ses pentes – un palais et une église un peu austères, des maisons carrées aux ocres pâles, avec leurs balcons à balustrades d’où l’on aperçoit les vignes. Un peu plus loin, les lignes blanches de l’abbaye cistercienne de Sant’Antimo émergent d’un paysage aussi toscan que possible : aériens et ombellifères, les pins parasols succèdent à la verticalité des cyprès.

Changement de paysage et d’ambiance en direction de la côte et de Porto Ercole. Ses ruelles flanquées de maisons serrées aux toitures de tuiles dévalent vers la mer, dans des senteurs de maquis méditerranéen : genièvre, romarin, genêts et bruyères. Le Caravage a choisi d’y mourir. Charlie Chaplin, Picasso, Jackie Kennedy y ont laissé des souvenirs glamour. Porto Ercole est aujourd’hui le discret refuge des Romains. Bains de mer, assiettes ensoleillées et virées en voilier vers l’île d’Elbe : décidément, la vie est douce en Toscane…

 

Photographie de couverture : Malte Jaeger / LAIF REA