Slovaquie

Les Hautes Tatras, toit pointu de la Slovaquie

Les Hautes Tatras, toit pointu de la Slovaquie

Au fond, où plutôt au sommet, les montagnes réunissent plus qu’elles ne séparent : les habitants des vallées ne se tournent pas le dos, mais ils échangent en altitude. Ainsi Slovaques et Polonais ont, sur leurs versants respectifs des Hautes Tatras, établi un parc national. Il s’agissait de garantir à l’un des plus spectaculaires et sauvages massifs d’Europe la protection qu’il mérite. Et d’en offrir les splendeurs aux visiteurs. En route pour le toit de la Slovaquie !

 

Verticales

Le trait distinctif des Hautes Tatras est leur verticalité : base exigüe et sommets altiers. Sur pas trente kilomètres de long et un peu plus de quinze en profondeur maximale, dix sommets au-delà de deux mille cinq cents mètres ! Un château fort naturel, à la frontière de la Slovaquie et de la Pologne, dans l’arc carpatique. Domaine nettement défini, donc, spectaculaire et suffisamment en condition pour être classé réserve de biosphère par l’Unesco. On n’y prête peut-être pas attention – où ça, en Slovaquie ? – mais c’est en partie pour cela que ce domaine presqu’intouché réserve aux amoureux de paysages intègres tant de bonnes surprises. On exagèrerait à dire que le voyageur se donne l’ensemble d’un seul regard, il faut marcher un peu, et parfois rudement, mais la variété ne fait jamais défaut et les aspects se succèdent rapidement au rythme d’un bon pas.

Montagnes des hauts Tatras

PHB.cz / Fotolia.com

 

Naturelles

Au pied, des bois de hêtres, qu’a parfois évincés l’épicéa. Lequel se déploie jusqu’à l’hégémonie dans les étages médians tapissés de mousses. C’est le pin mugo, au tronc gris et aux longues aiguilles souples, qui prend ensuite le relai. Puis la prairie d’altitude et, enfin, des zones minérales et sèches, dont seuls les lichens savent se satisfaire. Les pentes sont raides, les plateaux étroits, en dévers souvent ; des lacs au contour bien pris reflètent le bleu du ciel avec l’intensité particulière à une atmosphère limpide ou, au contraire, se voilent de buées et de mystère. Un loup quittant furtivement le refuge de la brume pour courir ailleurs, ou se désaltérer dans le courant d’une onde pure, n’est pas une rencontre si rare. Isengrin est, comme l’ours brun et le lynx discret, signe de la bonne santé de la faune du parc : il faut que ces prédateurs aient des fortunes de table à suffisance. Hôtes d’altitude, le chamois et la marmotte ont eux aussi dans ces montagnes pitance et retraites sûres. L’aigle royal plane là-dessus sans se lasser, ni laisser passer l’occasion de fondre. La nuit, le hibou grand-duc… La nuit, on est au refuge, ou à l’hôtel. Randonnée, ski, rafting ou attelages de chiens, l’activité diurne dépend pour son optimum de la bonne récupération du randonneur, skieur, rafter ou musher. Le sommeil dans un tel contexte est une jouvence. On ne se refusera pas néanmoins de contempler, les soirs propices, le ciel noir, pur, où fourmillent les étoiles. Et du coup, par chance, d’entendre hululer le grand-duc.

 

Sportives

Les sentiers, bien balisés, distingués par des couleurs – rouges : exigeants ; bleus : difficulté moyenne ; etc. – se parcourent en sécurité. Bien sûr, le relief éprouve la persévérance des randonneurs, mais celle-ci trouve presque à chaque détour du chemin la récompense d’un panorama renouvelé, d’un agencement végétal inattendu, d’un bouquet grisant de parfums, d’une table forestière où manger une assiette de halusky (qui ressemblent à des spätzle, cuisinés au fromage frais de brebis) et vider un petit verre d’alcool de pin, spisska borovicka, ou une pinte de bière Janosik. Il n’y a pas si longtemps encore, les victuailles étaient acheminées à dos d’homme (ou de jeune femmes : job d’été prisé des étudiants). La Tatranska magistrala permet de réaliser la traversée du massif en suivant les balises. Quatre jours de hauts et de bas, pendant lesquels le marcheur s’encourage en grignotant des tatranky, gaufrettes au chocolat dont le nom vaut appellation d’origine. Inutile de préciser que le simple promeneur trouve partout des itinéraires à sa mesure et que des téléphériques l’emportent vers maints hauts lieux. L’hiver, on skie dans les stations historiques de Stary Smokovec et Tatranska Lomnica, appuyée sur l’impressionnant Lomnicky stit, 2632 mètres. L’Autriche-Hongrie y est encore dans ses murs. Nature, voilà la raison de voyager dans les Hautes Tatras. Aussi bien comme environnement que comme mode de vie. Cela étant, nature et culture ne s’excluent pas forcément et l’imposante forteresse de Spis, non loin de Poprad – la porte des Tatras – bénéficie d’un cadre, mais aussi d’une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Quant à nature et santé, on voit à l’ouvrage ce couple, qui semble aller de soi, à Strbske Pleso par exemple, qui propose paysage lacustre, tremplins de saut à ski et équipements wellness à jour.

Canoës dans les hauts Tatras

Getty Images / iStockphoto

 

Inoubliables

La Slovaquie a, dans l’ensemble, gardé un caractère champêtre et un naturel de tradition. Les Hautes Tatras, qui se trouvent à trois cents kilomètres environ au nord-est de Bratislava, en sont un emblème justifié. Le quart du massif appartient à la Pologne (sur ce versant, la station de sports d’hiver de Zakopane s’est acquis entre les deux guerres une réputation flatteuse de centre intellectuel et mondain), c’est un fait, mais on pourrait dire qu’à l’inverse la Slovaquie appartient aux Tatras. Elle semble y culminer. Le narodny park n’est pas national parce qu’il relève de l’Etat, mais parce qu’il conserve aux Slovaques leur espace intime et l’image de leur liberté. En Europe centrale, l’identité trouve volontiers son reflet dans une nature. Et c’est ainsi que les crapahuts, les descentes tout schuss et les grands splatch en eau vive acquièrent une sorte d’âme. Ils n’y sont pas tout à fait les mêmes qu’ailleurs. Ce qui justifie pleinement le choix du voyageur. Lequel, lorsqu’il rentre chez lui, a fait à son tour l’expérience non pas seulement d’une montagne mais de sa montagne.

 

Par

EMMANUEL BOUTAN

 

Photographie de couverture : Getty Images / iStockphoto