Fondée au XIIe siècle, Rotterdam se développe au XIXe siècle grâce à l’essor du commerce maritime, mais son expansion est stoppée net par les bombardements nazis : le 14 mai 1940, la Luftwaffe bombarde la ville. C’est un déluge de fer et de feu : en dix minutes, le cœur de Rotterdam est réduit à un tapis de braises. Après la guerre, il faut imaginer une nouvelle ville à partir du vide laissé par les bombardements. Un choix radical est fait : raser les bribes urbaines restantes pour repartir d’une page blanche. Le champ est laissé libre aux urbanistes et aux architectes, pour qui Rotterdam devient une cité fétiche, au même titre que des métropoles qui font plus de dix fois sa taille. « Cette ville est intéressante, car son centre est plus jeune que sa périphérie », affirme le célèbre architecte Rem Koolhaas, natif de Rotterdam. Pied de nez à l’Histoire, la destruction de la ville en fait un laboratoire de l’architecture contemporaine, Ses bâtiments publics, ses logements sociaux et ses tours de bureaux sont conçus par Norman Foster, Renzo Piano ou Rem Koolhaas. Rotterdam est aussi le premier port européen – et le troisième mondial (premier port de commerce international au monde jusqu'en 2003, dépassé au tournant des années 2000 par les géantes asiatiques, Shangaï et Singapour), et la géographie a une présence très forte. Avec ses digues et ses polders, le paysage urbain s’étire jusqu’à la mer du Nord et les lignes audacieuses des architectures contemporaines sont comme adoucies par l’omniprésence de l’eau. Tour d’horizon.
Les maisons-cubes,
une architecture flottante au cœur de la ville
Les maisons-cubes (« kubuswoning »), conçues par l’architecte déconstructiviste Piet Blom (1934-1999) à la fin des années 1970, défient les lois de la gravité. Ce sont, en plein cœur de la ville, trente-huit maisons-cubes, inclinées à 45 degrés et supportées sur l’une de leur pointe par une colonne de béton. Cette organisation sur pilotis permet de minimiser l’emprise sur le terrain, pour laisser la place au sol à des commerces et à un centre culturel. Membre du mouvement libertaire Provo-Movement, rejetant discipline et hiérarchie au profit d’une société ludique, Piet Blom a conçu la série des maisons cubes comme un village au cœur de la ville, pour favoriser les liens et interactions entre espaces privés et espaces publics. Aujourd’hui, les maisons sont toutes habitées, à l’exception de l’une d’entre elles transformée en musée. On la visite pour mesurer à quel point, à l’intérieur, les maisons sont optimisées pour tirer le meilleur parti de l’espace disponible. La construction des maisons-cubes, entre 1978 et 1984, a largement participé à insuffler un esprit de créativité sur l’architecture néerlandaise.
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Manhattan aux Pays-Bas
Au sud de Rotterdam, la presqu’île de Kop Van Zuidd a été aménagée au début du XIXe siècle autour des anciens quais. C’est là qu’arrivaient des marchandises en provenance du monde entier, et qu’embarquaient des émigrants quittant l’Europe pour une vie meilleure en Amérique. La zone a été abandonnée dans les années 1970 jusqu’à ce que, au tournant des années 2000, l’inauguration du pont Erasme (le plus grand pont à bascule d’Europe, signé Ben van Berkel et Caroline Bos) n’insuffle une nouvelle énergie. Aujourd’hui, la réhabilitation des anciennes friches industrielles, avec des projets architecturaux audacieux et des tours hautes signées des plus grands architectes – Norman Foster, Renzo Piano ou Rem Koolhaas – classe le Kop Van Zuidd parmi les quartiers les plus avant-gardistes de la ville, et lui vaut le surnom de « Manhattan-sur-Meuse ». On le rejoint à pied, par le pont Erasme, ou en bateau-taxi, les cheveux au vent, face à la skyline de verre et de béton sur la Nouvelle Meuse. Les anciens docks ont été reconvertis en musée ou en cinéma, et le Kop Van Zuidd est désormais le quartier le plus populaire de Rotterdam. À Katendrecht, on visite aussi l’ancien quartier des marins.
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Au musée
Direction le Kunsthal. Musée sans collection permanente, il ne rivalise pas avec le « poids lourd » voisin, le musée Boijmans Van Beuningen. Mais il propose des expositions temporaires de grande qualité et, surtout, il est l’un des premiers édifices issus de l'Office for Metropolitan Architecture (OMA) de Rem Koolhaas. C’est le premier projet à traduire en architecture le génie de Koolhaas, figure incontournable de l’architecture contemporaine.
Le Dépôt
Inauguré en 2021, le bâtiment conçu par l’architecte Winy Maas, du prestigieux cabinet d’architecture MVRDV, est la nouvelle icône de Rotterdam – une icône pop : le bâtiment ressemble à un immense pot de fleurs. Sa fonction : rendre accessible au grand public l’ensemble des réserves du musée Boijmans Van Beuningen, à côté duquel il est implanté – le musée est en travaux jusqu’à 2028. 151 000 œuvres d’art sont stockées dans l’édifice – elles sont partout, dans les planchers, dans les passerelles, suspendues… et toutes visibles. C’est le premier dépôt d’œuvres d’art au monde accessible au public. Les œuvres d’art sont classifiées en fonction de leur matière et de la discipline. Des ascenseurs en verre aux sols transparents, la scénographie a été pensée pour permettre d’admirer les œuvres sous tous les angles. Et tout est offert au regard : le travail des restaurateurs, l’empaquetage des œuvres. Les 1 664 miroirs apposés sur l’édifice reflètent magnifiquement le paysage de Rotterdam et, depuis le toit-terrasse, véritable jardin dans le ciel planté de soixante-quinze arbres, on a une vue à 360° sur la ville.
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La place du marché du XXIe siècle
Du cabinet d’architectes MVRDV, il faut aussi voir le Markthal, une monumentale arche (50 mètres de haut) en fer à cheval, qui prend place à côté de l’église historique de Laurens, à l’endroit même où fut fondée la cité. Sur 100 000 mètres carrés, l’arche abrite en son centre une halle de marché comptant plus de 100 étals, la halle étant elle-même couverte par 228 appartements traversants. Les architectes ont réinventé le concept de la traditionnelle place du marché en faisant passer les appartements par-dessus les étals. La voûte de l’arche est peinte d’une grande fresque représentant des fruits, des légumes et des fleurs. Si l’architecture en elle-même est assez peu élégante, le pari de convivialité est gagné. Au marché, l’ambiance est au partage et, sur certains étals, on peut déguster sur place rollmops de hareng, gouda et edam, un verre à la main.
Par
MARION OSMONT
Photographie de couverture : Dominik Mecko / Unsplash