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Réchauffement climatique : Comment être en même temps écologiste militant et dirigeant de voyagiste ?

Réchauffement climatique : Comment être en même temps écologiste militant et dirigeant de voyagiste ?

Tribune publiée dans Le Monde le 13 avril 2019 Par Jean François Rial, PDG de Voyageurs du Monde.

Je suis un écologiste de raison, je le suis devenu par l’apprentissage. Le débat sur la taxe carbone qui fait rage, a provoqué la crise des « gilets jaunes ». L’un des objectifs poursuivis par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est de ne pas dépasser 1,5 degré Celsius de réchauffement supplémentaire. Pour cela, il faudrait diviser nos émissions mondiales par deux d’ici à 2030, puis atteindre zéro émission carbone en 2050. Je ne crois pas à la solution de la décroissance ou de ne plus prendre l’avion. Ce n’est pas naturel, la grande majorité ne suivra pas. Je ne crois pas non plus à une taxe carbone classique sur le kérosène à un niveau élevé, pour pousser les consommateurs à changer de comportement, car elle aurait le double défaut d’être socialement injuste et de pas absorber de CO2 . Je crois à la décroissance de la consommation de matière première, mais pas à la décroissance du progrès humain. Il nous faudrait arriver à mettre en place une croissance qui soit de nature écologique.

 

Une « contribution planète »

Concernant le réchauffement climatique, un des sujets les plus pointés du doigt est le transport aérien. Même s’il ne représente que 3 % des émissions, le ratio par personne est élevé et en croissance. Chaque jour ou presque, des publications appellent à arrêter de prendre l’avion, ou au moins d’en réduire la fréquence. Voyagiste, je crois à l’utilité sociale de mon métier qui, au-delà de son pur intérêt économique, est un métier facteur de tolérance.

Comment concilier ces deux fortes convictions qui m’habitent ?

J’aimerais exposer une solution que nous pratiquons chez Voyageurs du monde et qui pourrait être généralisée. Il s’agit de la « contribution planète » , qui absorbe les émissions anthropiques de CO2, mais qui pourrait financer par la même occasion la transition écologique.

Notons que l’ensemble des activités mondiales générant du CO 2 peuvent être distinguées en deux catégories. D’un côté, celles pour lesquelles une solution technique de transition existe dans un délai compatible avec les objectifs du GIEC. C’est le cas de l’agriculture ou de l’électricité. De l’autre, celles pour lesquelles il n’existe pas de solution technique à la transition, pas dans les délais convenus.

L’aviation rentre dans cette catégorie. Contrairement aux activités générant de fortes émissions de CO2 (production d’électricité, agriculture), nous n’avons pas d’alternatives technologiques à court terme pour voler sans kérosène. Il sera bientôt possible de faire voler des avions à l’hydrogène vert, mais il faudra au moins trente ans pour gérer la transition. Il existe une autre solution.

 

1 300 milliards d'arbres

Je propose que toutes les émissions de CO2 produites par l’industrie aérienne soient compensées par des solutions réelles d’absorptions de CO2. Cela serait possible par une action volontaire sur les écosystèmes gérés par l’homme, tels que les forêts, les prairies, les sols agricoles et les zones humides, et par certains procédés industriels, tels que la capture du carbone.

Prenons le cas de la solution la plus directe et la plus simple : la plantation d’arbres.

L’Ecole polytechnique suisse de Zurich vient de réaliser une étude permettant de quantifier à 1 200 milliards le nombre d’arbres que nous pourrions planter sans toucher aux activités humaines, comme l’agriculture. La plantation de ces 1 200 milliards d’arbres représenterait 400 gigatonnes de CO2 absorbées, soit dix ans des émissions actuelles de toutes les activités humaines ! Certains contesteront ce chiffre de 1 200 milliards et le fait que les plantations d’arbres absorbent forcément du CO2 .

 

arbres

Julien Mignot 

De fait, l’absorption que nous pourrions utiliser pour l’industrie aérienne devra respecter absolument quatre conditions : premièrement, réaliser toutes les économies possibles de consommation de kérosène par la technologie, les routes aériennes et privilégier les transports moins émetteurs quand cela est possible.

Deuxièmement, ne pas faire de la compensation classique au sens du rachat de crédit carbone, tel que prévu par exemple par le protocole de Kyoto, car le sujet prête à trop de controverses sur la crédibilité de ces absorptions. Soit par manque de traçabilité sur des achats indirects de crédits de carbone, soit parce que le marché du crédit carbone permet trop souvent de générer des crédits contestables comme ceux obtenus par le système de l’évitement d’émission qui n’absorbe rien ! Au contraire, il faut privilégier l’absorption directe des émissions de carbone telle la plantation additionnelle d’arbres.

 

20 euros par tonne de CO2 émise

Troisièmement, il est indispensable que la « contribution planète » qui permettra de le faire soit un élément du prix de revient du produit acheté. En aucun cas, il ne doit s’agir d’une taxe fiscale qui alimenterait le budget de l’Etat qui ne réglerait pas le problème du volume des émissions.

Cette contribution planète doit alimenter des fonds spécifiques pour réaliser concrètement les projets d’absorption.

Quatrièmement, en parallèle, le financement de la transition devra être assuré, car l’absorption ne peut être qu’une phase temporaire et transitoire. En résumé, cette solution permettrait de réaliser en même temps : des économies d’émissions, l’absorption des émissions, la transition écologique.

Ce système de « contribution planète » proposé pour le secteur aérien pourrait être étendu aux autres activités économiques dont l’utilité sociale serait reconnue et dont la transition comme pour l’industrie aérienne serait longue. Au contraire pour les activités humaines émettrices de CO2 pour lesquelles il existe une solution de transition dans les délais impartis, il faudrait accélérer le financement de cette transition.

 

Voyage aeroport

Stephanie Tetu

Ainsi une vraie solution émerge. Transition rapide et immédiate pour certaines activités, entre la moitié et les deux tiers des émissions mondiales et absorption pour le dernier tiers, tout en finançant leur transition à long terme.

La « contribution planète » pourrait, par exemple, être proposée à 20€ par tonne de CO2 émise. Intégrée dans le prix de revient du produit, soit 10 euros pour financer l’absorption concrète de la tonne de CO2 et 10 euros supplémentaires pour financer la transition. Balayons l’argument selon lequel cela pénaliserait la compétitivité des compagnies aériennes françaises, car tous les vols au départ de la France seraient concernés, quitte à exonérer les passagers en transit de hub le temps que les autres pays bougent. Cela donnerait un surcoût d’environ 7 euros sur un Paris-Bordeaux, ou 60 euros sur un Paris-New York.

Je crois à cette solution. Payer pour réparer les dégâts qu’on génère et financer la transition. Il ne s’agit pas de « s’acheter une bonne conscience », mais de proposer une solution acceptable pour tous, tout en respectant les objectifs du GIEC.

 

Par

JEAN-FRANÇOIS RIAL

 

Photographie de couverture

STEPHANIE TETU