Oui, il est possible de dénicher une longue plage déserte à l’île Maurice. La preuve sur la côte est, entre la Pointe de Flacq et le village de Trou d’Eau Douce, soit plus de dix kilomètres restés aux couleurs d’aube des temps.
La carte postale est (presque) parfaite. Ne manque que le coucher de soleil en fin de journée, lorsque le ciel se couvre d’or, de cuivre et de pourpre, le décor qu’adorent les amoureux pour échanger un dernier baiser. Ici, côte est, ils doivent s’accommoder du lever. Il est merveilleux. Alors percent les pâleurs initiales, les rayons purs rasent l’océan gris acier avant de plonger dans le lagon étal. L’air semble si léger, les cocotiers s’habillent de vert tendre et la plage, lissée par la marée, offre sa virginité à l’empreinte des pieds qu’on pose entre deux coquillages. Une haie de filaos balance doucement dans la brise aussi fraîche, 24°C, que légère, une caresse. Sur l’eau cristalline du lagon bouchonnent quelques barcasses, coque bleue, verte, rouge, poussées par une voile molle. Il est 8 heures, scène de la vie ordinaire sur la plage de Palmar, petit coin de l’île Maurice où elle coule ainsi, inchangée depuis la nuit des temps. On s’étonne de ce que pareille image du paradis-sur-mer ait échappé aux promoteurs comme aux urgences du jour. Paul vient ici retrouver sa Virginie. Main dans la main, ils inventent des mondes mystérieux, autant de promesses vite noyées dans leurs regards échangés. Gagné.
Un bouquet de veloutiers
Un petit royaume de sable pour deux et voici la serviette posée à l’abri d’un bouquet de veloutiers, à moins que ce soit à l’ombre d’un cocotier gracieusement penché sur la plage, vaste, large, déserte. Le temps s’arrête. Pour compléter le décors, la cabane d’un pêcheur, une haie de bambous sur laquelle sèchent ses filets, un estaminet de fortune, bière glacée en attendant la langouste grillée, des enfants s’éclaboussent avec les eaux lumineuses du lagon, des couples de joggeurs assidus, équipement fluo dernier cri, bravo les jambes. Prévoir un masque et un tuba avant de viser les patates de corail qui affleurent à deux pas du rivage. Spectacle grandiose, pour peu que l’océan Indien joue en mode calme : des milliers de poissons sont alors au rendez-vous, clowns bariolés, miniatures bleu fluo volant en nuages, pépères rondouillards jouant les indifférents, flèches argentées filant au plus pressé, loubards rougeauds ou kaki, stars habillées de noir ou ravis de leur tenue jaune, de leurs pois ou de leurs zébrures, ils sont tous là. De toutes formes, de toutes tailles, de tous comportements, dansant entre branches de corail et rochers à planques, planant au milieu des anémones, roupillant à l’abri des oursins à moins que ce soit au creux d’un bassin de sable blanc.
Dernier agrément de cette plage étonnamment préservée, elle est publique. Ce qui explique en grande partie qu’elle ait échappé au « tout hôtelier ». Ne pas s’étonner, en particulier le week-end, si des familles mauriciennes invitent le vacancier de passage à partager la noix de coco ou le pique-nique. Bonheur assuré.
Indémodable félicité
En poussant plus au sud vers Belle Mare, la plage offre de semblables agréments mais avec une bordure d’hôtels grand chic grand genre. Le luxe étoilé qui fait la gloire touristique de l’île Maurice joue ici sur le registre de l’excellence. Il devient donc difficile de poser sa serviette entre les parasols siglés sur lesquels veille une armée de serveurs attentifs. Qu’importe. Ne pas manquer le temple hindou Sagar Shiv Mandir posé sur un îlot relié à la terre par un chemin de corail, à proximité de Poste de Flacq. Pause méditative en compagnie de fidèles venus célébrer, offrandes à la main, Shiva ou Ganesh, le sympathique dieu éléphant, celui qui porte chance. Fumées d’encens, murs blancs toujours peints de frais, rafales de vent… Ici, l’océan peut bien jouer de son écume, c’est le ciel qui impose sa loi, ses ferveurs et les mystères de la foi. Succomber sans modération, avant de céder aux bonheurs de cette île Maurice à l’indémodable félicité.
Le jardin botanique de Pamplemousses, le circuit des ravissantes maisons d’architecture coloniale qui témoignent des années bonheur de la canne à sucre, les navigations tranquilles à fleur de lagon, champagne s’il vous plaît !, les parties de pêche à la bonite, le golf sur certains des plus beaux greens du monde, l’étonnant marché de Port-Louis, la capitale (150 000 habitants sur les 1,2 million que compte l’île), où tout se vend avec le sourire, les paniers tressés comme les plantes médicinales, les interminables saris indiens autant que les lunettes de contrefaçon, les maquettes de bateau, les costumes et robes sur-mesure, la noix de coco bue sur place…
Ces basiques dont un seul justifierait le voyage entre deux paresses sur la plage, ouvrent la porte sur une bien plus belle découverte, celle de la singularité mauricienne. A l’hôtel, on apprécie déjà la bienveillance tout sourire du personnel. Le service « made in Mauritius » est depuis longtemps élu champion du monde ! Sobriété, omniprésence, justesse, efficacité… Démonstration confirmée lorsqu’on s’aventure à l’extérieur pour respirer la sincérité de mille villages aux noms savoureux. Poudre d’Or, Bon Accueil, Trou aux Cerfs, Le Pétrin, Chamarel, Nouvelle France, Circonstance, Bois Chéri… et tant d’autres où s’abrite la vie ordinaire.
Annexion douce
Visages entre blanc laiteux et noir ébène en passant par le cuivre indien, shorts, costumes et saris, anglais ou français du temps des découvreurs malouins (au XVIIIème siècle, elle appartient à la couronne et s’appelle Isle de France), 4X4 dernier-cri et charrettes brinquebalantes. A croire qu’on est entré dans une peinture romanesque dont les couleurs vives des tropiques ont été plaquées sur les pastels nostalgiques d’une vie toute de simplicité et d’harmonies. Certes, à 11 heures de vol de la France (juste deux heures de décalage horaire), l’île Maurice est une république indépendante depuis exactement cinquante ans, totalement intégrée au grand cirque mondial (sans armée régulière mais avec une compagnie aérienne nationale), ce qui ne l’empêche pas de cultiver sa singularité. Voire.
Certains pointent une prise de possession douce par l’Inde voisine. Il est vrai que la population d’origine blanche (les colons, propriétaires sucriers, une industrie qui, à son apogée, occupait 94% des terres agricole) et noire (les milliers d’esclaves utilisés sur les plantations), a cédé la place à une communauté de source indienne à plus de 65%. Les derniers Blancs comptent désormais pour à peine 2%, les métis composent le reste. Cinq ou six décennies ont donc suffi pour que les enfants de Vishnou autant que de Bollywood qui regardent du côté de Mumbai, Delhi et Calcutta, contrôlent les principaux secteurs d’activité de l’île. Industrie, commerce, administration. Sans bruit, avec méthode et vigueur familiale.
Bref, le modèle mauricien fait merveille. Son inspiration indienne semble lui garantir la bienveillance du ciel. Pour l’heure, il est infiniment bleu. On va se baigner ?
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographies : Veranda Palmar Beach Resort / One&Only Le Saint Géran