Italie

L'Italian Touch - Des origines aux seventies

L'Italian Touch - Des origines aux seventies

Le design transalpin est, après la gastronomie, l’autre cœur battant du pays. Un secteur bien vivant, qui a émergé post-Seconde Guerre mondiale et continué d’évoluer au fil du temps. Retour sur une discipline rebelle et toujours innovante, reflet des évolutions sociétales de son époque.

 

26 mai 1972, dans un communiqué de presse tapé à la machine (l’histoire n’a pas retenu s’il s’agissait d’une iconique Valentine créée par Perry A. King et Ettore Sottsass), le MoMA (Museum of Modern Art de New York) annonce le lancement de Italy : The New Domestic Landscape (“Italie : le nouveau paysage du quotidien”). L’idée de l’architecte argentin Emilio Ambasz, jeune commissaire de l’exposition, est de dresser une photographie du design italien, en rassemblant près de 200 objets et une dizaine d’“environnements” liés à l’habitat, le tout imaginé par la crème des designers transalpins de l’époque.

 

 Lettera 22 de Marcello Nizzoli et Giuseppe Beccio pour Olivetti 

Triennale di Milano - Lettera 22 (1950), de Marcello Nizzoli et Giuseppe Beccio pour Olivetti 

 

Des fifties à la révolution plastique

 Attendue comme une simple curiosité, l’expo fera véritablement date dans l’histoire de la création italienne. En ce domaine, le pays est déjà, depuis les années 1950, un acteur majeur, boosté par un contexte économique favorable, le développement de nouvelles technologies et matériaux, mais surtout grâce à l’association de créateurs visionnaires et d’éditeurs ambitieux. D’un côté, l’énergie des Gio Ponti, Carlo Scarpa, Ettore Sottsass, des frères Achille et Pier Giacomo Castiglioni, du jeune Joe Colombo… De l’autre, le dynamisme des maisons Poltrona, Cassina, Danese, Arteluce, Brionvega… Le mobilier, les luminaires qui sortent alors des ateliers gardent des lignes épurées, inspirées du mouvement Bauhaus, collant au plus près à la fonctionnalité. Les éclairages de Fontana-Arte poursuivent le sillon tracé par Gio Ponti avec, entre autres, sa lampe Bilia (1932) – simple sphère posée sur un cône. Même conformisme côté salon, à l’instar du fauteuil Tre Pezzi (1959) de Franco Albini dessiné pour Cassina, réinterprétation confortable de la bergère classique. La fantaisie pointe pourtant déjà, notamment chez les frères Castiglioni, qui sans jamais déroger à la simplicité et au pratique, ajoutent une pointe d’humour. Ainsi naît le tabouret Sella (1957) : une simple selle de vélo fixée à une tige d’acier. Cinq ans plus tard, la fratrie milanaise récidive avec l’iconique lampe Arco, inspirée du lampadaire urbain – équilibre magistral entre un pied en marbre de Carrare et un arc télescopique d’acier léger.

 

eclisse

Triennale di Milano - Eclisse (1965), de Vico Magistretti pour Artemide

 

Le début des années 1960 marque un premier virage, notamment grâce à l’avènement d’un matériau révolutionnaire : le polycarbonate. Léger, modulable, résistant, transparent ou coloré : il colle à l’inspiration italienne du moment. Fondé en 1949 par le chimiste Giulio Castelli, l’éditeur Kartell, aujourd’hui encore l’un des piliers du Salone del mobile de Milan (le Salon international du meuble), se distingue notamment en détournant cette matière jusqu’alors réservée aux boucliers anti-émeutes. Les designers se ruent sur les possibilités créatives qu’offre ce polymère. Ils tordent, injectent, moulent d’un seul bloc, créant au passage, tel Joe Colombo et sa chaise Universale (1965), des icônes devenues… universelles. L’avènement des femmes architectes La révolution arrive aussi par la consécration des premières femmes designers dans un milieu alors essentiellement masculin. Récompensée par un grand prix à la Triennale de Milan en 1964, l’architecte Gaetana “Gae” Aulenti éclaire de son génie les luminaires de FontanaArte, Artemide, ou Martinelli Luce pour qui elle dessine en 1965, la Pipistrello, une lampe chauve-souris qui vole désormais au firmament. En 1967, Anna Castelli Ferrieri, épouse de Giulio Castelli, installe définitivement au centre du salon, le mobilier plastique en imaginant le Mobili 4970/84, devenu l’indétrônable Componibili, un rangement tout en rondeurs, assemblable et modulaire. Exposée au printemps 1972 dans les jardins du MoMA, la designer affirme aux côtés de ses pairs un design coloré, pratique et bon marché, qui induit un nouveau style de vie, à l’opposé du design traditionnel.

 

 K4999 de Marco Zanuso et Richard Sapper pour Kartell

Triennale di Milano - K4999 (1959), de Marco Zanuso et Richard Sapper pour Kartell

 

La vague hippie déferle sur le monde et l’Italie tient lieu de laboratoire du design. Le mysticisme cool transparaît dans les créations de Gabriella Crespi (associée inévitablement au terme “hippie chic”), qui séduisent la jet-set internationale ; l’anticonformisme se reflète dans les délires archi-psychédéliques du collectif florentin Superstudio – dont on retrouve l’influence encore aujourd’hui chez Rem Koolhaas ou Bjarke Ingels ; une idée du futur se concrétise notamment dans la Total Furnishing Unit de Joe Colombo, une capsule d’habitation réalisée dans un monobloc de plastique, présentée lors de l’exposition du MoMA.

 

Casablanca d’Ettore Sottsass Jr. pour Memphis.

Triennale di Milano - Casablanca (1981), d’Ettore Sottsass Jr. pour Memphis

 

Un moyen de revendication sociale

Car, c’est là toute la résonance de The New Domestic Landscape : au-delà de l’objet, l’événement convoque une réflexion globale sur l’habitat, l’individu et la société occidentale. La manière parfois est radicale, passant par des dénonciations du capitalisme et de la consommation de masse, outils de l’appauvrissement de la créativité. Le design comme moyen de revendication sociale, c’est déjà le motto du mouvement Antidesign, lancé par Ettore Sottsass en réponse au modernisme. Un véritable manifeste du motif kitsch et des couleurs pop qui, dans les années 1980, donnera naissance au groupe Memphis. C’est aussi l’esprit des Florentins d’Archizoom Associati (1966-1974) qui, par le biais de séries de meubles modulables pour Poltronova, revendiquent le droit de recomposer l’espace. Une volonté qu’ils appliquent aussi à l’urbanisme avec No-Stop City, projet théorique dans lequel l’architecture disparaît pour laisser place à une ville où l’homme modulerait son environnement à l’envi. Souvent éphémères, toujours utopistes, mais assurément avant-gardistes, ces mouvements ont modelé la base du design italien. Près d’un demi-siècle plus tard, cette vision libre et joyeuse continue de faire écho à l’époque et à ses aspirations.

 

Photographie de couverture : @Piaggesi/Fotogramma/ROPI-REA