Cliché que le Japon à l’heure des cerisiers en fleur ? Mais non ! Outre la beauté soudainement révélée des parcs et jardins, tout un peuple célèbre avec entrain le printemps qui pointe avec ses premiers signes de beauté. Entre fin mars et début avril, pratiquer sans retenue et avec euphorie ce culte de la vie qui renaît.
Attention, au Japon c'est une affaire sérieuse. De l’île d’Hokkaïdi, plein nord à celle, volcanique, du grand Sud, Kyushu, en passant par Tokyo, la capitale, Kyoto ou Nara, 127 millions de Japonais n’attendent que cet instant sacré : la floraison des cerisiers. Les chaînes météo livrent des bulletins spéciaux pour révéler l’avancement des bourgeons, toute une communauté de citoyens poètes veille sur le moindre prunus cerrulata pour en apprécier l’évolution puis la prochaine éclosion, les réseaux sociaux moulinent en folie, à qui annoncera la première floraison, photos à l’appui, familles, amis et collègues biffent déjà la date du pique-nique sous les arbres du bonheur. Enchanteresse folie.
Une histoire de riz
Car c’est un peu de cela dont il s’agit. La dévotion portée aux cerisiers fleuris remonte à plus de mille ans. Elle n’a jamais failli. Au moins pour deux raisons. D’abord, l’éclosion des fragiles bourgeons, entre le 20 mars et le 5 avril selon les régions de l’archipel, l’altitude de l’endroit et la météo de l’hiver qui vient de s’achever, coïncide exactement avec la période durant laquelle il faut planter le riz. C’est assez pour avoir assuré des siècles durant de belles festivités paysannes. Déposer sa petite offrande au pied de l’arbre pour le remercier, comme au coin du champ inondé, histoire de l’encourager, et siffler entre voisins une gourde d’excellent saké. Tchin !
Getty Images
Ensuite, comme l’esprit nippon n’est jamais monolithe, le ciel s’en mêle. L’affaire s’habille de symbolique, de pensées savantes et de jolies métaphores. Avec le printemps, ne recevons-nous pas une leçon, celle de la vie qui revient avec couleurs et belles promesses, celle aussi de l’extraordinaire beauté des fleurs, la délicatesse de leurs couleurs, sans oublier la grâce d’un instant éphémère, quelques jours seulement, qui nous apprend que rien, ici-bas, n’est appelé à durer. Les recueils de philosophie parlent de « beauté impermanente ». Bref, riziculteurs, prêtres shintoïstes, cadres tout en courbettes et jolies geishas partagent la même extase.
Vénérer le sakura, célébrer le Hanami
Cette semaine de béatitude, durée qui sépare l’éclosion du bourgeon de la fleur pleinement épanouie, donne lieu à une cascade de festivités et de célébrations. Dans tout le pays, la liste des concerts, festivals et autres expositions, est longue. Mais le plus important reste la manière dont tout un chacun se consacre à l’événement.
stock.adobe.com
Il a un nom : Sakura désigne la floraison du cerisier. Le mot Hanami désigne lui le plaisir partagé de se réunir à cette occasion. La tradition exige en effet qu’on déploie la grande nappe sur l’herbe ou le gazon des parcs et jardins publics, éventuellement dans ceux des temples, pour pique-niquer. En famille, entre voisins, en bande, avec les collègues, mais toujours sous un cerisier afin de s’imprégner de la beauté de ses fleurettes roses et blanches, de respirer la sérénité qu’elles inspirent et de méditer sur la fameuse « impermanence ».
Jérôme Galland
Illustration dans le parc d’Ueno à Tokyo où mille cerisiers abritent le rituel, attention, il faut arriver tôt pour privatiser son recoin. Ou à Nara, dominée par une montagne sur les flancs de laquelle on dénombre plus de 3 000 arbres, photo, s’il vous plait ! Ou encore à Kyoto, dans les vastes jardins du temple Toji, fondé en 796, planté d’essences à fleurs autour de ses magnifiques plans d’eau. A moins de préférer Nara et son immense parc peuplé de paisibles daims… Partout, la même liesse est de mise, calquée sur la météo du jour dont le bulletin matinal annonce la fenêtre de fête.
Abricotiers, cerisiers et pêchers
Sachant que si la ponctualité est exigée fin mars par les cerisiers, elle peut aussi être modulée par le voyageur à la main verte. Une ou deux semaines avant, ce sont les abricotiers qui ont donné de la couleur. Une ou deux semaines après les cerisiers, viendront les pêchers qui, à leur tour, raconteront la renaissance du monde. Au Japon, la leçon de vie est éternelle.
Vincent Leroux
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographie de couverture : JNTO Japan National Tourism Organization OT