Japon

Visiter la mer intérieure de Seto : pour une odyssée insulaire et artistique

Visiter la mer intérieure de Seto : pour une odyssée insulaire et artistique

On les nomme "les îles de la mer du milieu", îles aux trésors, peuplées d'œuvres d'art et d'habitants heureux. Un pari fou et une odyssée singulière menée par un honorable mécène avec, en fond sonore, la douce musique du ressac.

 

Frôlant de minuscules îlots en forme de cône parfait, le ferry glisse en prenant son temps, enlacé par la brume comme dans une photo d'Hiroshi Sugimoto. C'est l'une des navettes traçant cet incessant ballet, de l'aube jusqu'au soir, au milieu des 600 îles de l'archipel de Shiwaku, dans la mer de Seto, un morceau de l'océan Pacifique capturé entre trois des îles principales du Japon.

Sur le pont, les adultes piquent un somme (les Japonais sont les champions de la microsieste) tandis que les jeunes font des selfies. L'odeur de la terre se mélange à celle de la mer lorsque se profile un petit port singulier dont le quai est encombré d'une citrouille géante et jaune tachetée de pois noirs, emblématique de l'artiste Yayoi Kusama. Voilà Naoshima. Pas plus grosse que Porquerolles ou Ouessant, l'ile flotte à l'est de cette mer intérieure qui fut, avant la construction de la ligne de Shinkansen Sanyo, le lien principal entre la région du Kansai et Kyushu. Victime du développement industriel débridé de l'après-guerre, l'archipel encombré d'usines polluantes fut longtemps réputé pour être la "poubelle du Japon".

Table café Naoshima

Letizia Le Fur

 

Ando, Monet et Sugimoto

Aujourd'hui, on ne croise plus dans ces eaux que de minuscules bateaux de pêche, beaucoup d'amateurs d'art et d'architectes en total look black, venus s'enivrer dans ce puzzle insulaire contaminé par la beauté. Fils aîné d'un magnat de l'édition, Soichiro Fukutake trouvait il y a une trentaine d'années dans l'escarcelle de son héritage cette ile de Naoshima, ainsi qu'une collection d'impressionnistes assortie d'un unique Pollock. Plutôt que de jouir de sa fortune et d'exposer ses trésors dans son salon, le riche mécène préfère l'enrichir et la partager, mais pas n'importe comment. Son envie: "Revitaliser le lieu avec ses habitants." Un pari fou. Dès 1992, il s'offre un débarcadère conçu par la célèbre agence d'architecture Sanaa, puis trois musées et un hôtel, tous signés Tadao Ando. Et bien entendu les œuvres qui vont avec. Un James Turrell, un Walter De Maria et cinq monumentaux Nymphéas de Claude Monet se trouvent dans le Chichu Art Museum, un bâtiment enfoui comme un bunker dans la colline.

Musée d'art de Chichu

Musée d'Art de Chichu

 

Tadao Ando imagine également un drôle de musée-hôtel, la Benesse House, synthèse de spiritualité japonaise et de coulée de béton poli, qui abritera le début de la collection (Giacometti, Hockney, Richard Long, Nam June Paik...), ainsi que des chambres sobres et lumineuses pour les visiteurs. Et des visiteurs, il y en aura : déjà 500 000 chaque année pour 4 000 habitants. Des personnes âgées, pour la plupart, immédiatement impliquées dans le projet et chargées de guider les visiteurs sur cette ile qui ressemble un peu à celle de la série Le Prisonnier.

Un troisième musée, le Lee Ufan Museum, dédié au célèbre philosophe-plasticien sud-coréen, viendra s'ajouter avant que l'épidémie ne gagne une dizaine d'iles voisines. Inujima et Teshima ont à leur tour accueilli des musées et investi des friches industrielles. Puis, le projet a contaminé cabanes de pêcheurs, maisons traditionnelles du XIXe siècle désertées et sanctuaires shinto délaissés, confiés à des artistes d'envergure internationale tels Hiroshi Sugimoto ou Tatsuo Miyajima. L'empire du mécène continue de se répandre en cercles excentriques, colonisant les rochers voisins pour accueillir la Triennale de Setouchi, semant installations et œuvres sur les grèves, dans la nature et dans les villages de pêcheurs. Toute la délicatesse consistant à les intégrer dans la rusticité du paysage. Ainsi dispersée, l'incroyable collection compose le musée le plus singulier du monde. Il se parcourt en faisant du "saute-ferry", en fréquentant de minuscules restaurants qui servent du poulpe grillé et des anchois produits sur place et en apprivoisant l'idée de la lenteur. Chaque ile est unique, chaque traversée un émerveillement, chaque guide une rencontre. Magique. L'utopie est devenue une réalité.

 

In the mood

À une heure de Kyoto ou Osaka, apparaît la mer intérieure de Seto, et ce calme inespéré si près des mégalopoles. Les possibilités y sont multiples. Naoshima, Inujima et Teshima forment un archipel dédié à l'art contemporain, la nature et l'architecture. Durant la Triennale de Setouchi, on navigue d'ile en île, de musées-sanctuaires en maisons-galeries, savourant l'environnement et les œuvres de land art disséminées à travers les rizières. L'île de Miyajima offre, elle, une aventure plus spirituelle. On vous prévient : sur cette "ile sanctuaire", il est interdit de naître ou de mourir ! On chemine jusqu'au sommet du mont Misen pour admirer un panorama époustouflant : les érables du Momijidani Park, le célèbre torii flottant ou le temple Daisho-in. Pour le coucher de soleil, arrêtez-vous sur l'île de Shodoshima et sa "route des anges", un banc de sable reliant deux îlots. Selon la légende, traverser cette route main dans la main garantirait un bonheur éternel... Romantisme assuré !

Torii flottant de l'île de Miyajima

shirophoto/stock.adobe.com

 

Photographie de couverture : Letizia Le Fur