Malte

Malte, en bon ordre

Malte, en bon ordre

Malte, l’île-sentinelle de Méditerranée offre bien plus qu’une pause ensoleillé dans un cadre alternant palais historiques, superbes spots de plongée, églises sublimes et criques aux eaux claires. Son histoire glorieuse magnifie le séjour en valorisant la moindre de ses pierres.

 

Les hommes étaient soulagés. La fin du Monde que les vilains prophètes avaient annoncé pour l’an 1000 ne s’était pas produite. Finalement, le ciel avait laissé les humains poursuivent l’aventure. Les enfants d’Adam et Eve devaient prolonger leur long chemin de rémission. Du coup, il fallait continuer à veiller sur les affaires du jour. Le bon Henri 1er (1008-1060) portait la couronne de France et il était de bon ton dans les grandes familles du royaume d’aller faire un pèlerinage à Jérusalem. Spectaculaire signe de piété, manière aussi de prendre le large durant quelques années, façon enfin de montrer qu’on avait les moyens et la classe d’engager une expédition au long cours. On imagine le périple que cela représentait en ces temps de chemins caillouteux et de bandits à l’affût de la moindre breloque. Des dizaines de chevaux et de carrioles assuraient l’intendance, le couchage, la sécurité au fil de 5000 kilomètres de saint cheminement, souvent une bonne année de voyage, à laquelle succédait une autre année de séjour dans la ville sainte puis le même délai pour regagner le château familial, couvert de lumière et nanti des plus beaux récits d’ailleurs à raconter le soir à la veillée. A la condition de revenir. Car nombre d’imprévus attendaient ces preux Chrétiens. La maladie, la blessure au cours d’escarmouches rythmées par les cliquetis des épées, quelques histoires d’amour aussi invitant à rester pour fonder foyer, la mort, parfois. Certains en profitaient pour tourner la page en décidant tout simplement de s’installer à Jérusalem pour veiller sur le tombeau du Christ.

Eglise Malte

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La première croisade

Très vite, cette petite communauté de vaillants pèlerins voulut installer un hospice capable de venir en aide aux plus défaillants d’entre eux. L’autorisation leur fut accordée en 1048. Ainsi naquit l’idée d’une pieuse confrérie dédiée à secourir malades, blessés, déshérités. L’histoire s’en mêle vite puisqu’en 1078, les Ottomans (ainsi appelait-on les Turcs musulmans) qui tiennent militairement Jérusalem refusent que ces Chrétiens venus de l’autre bout de la planète entrent en ville. C’est assez pour qu’informé de cette vilaine chiquenaude, le pape Urbain II décide de lancer la première croisade. Elle se termine par la prise de Jérusalem en 1099.

L’épisode sert de leçon. A l’évidence, les fils du Prophète vont vouloir une revanche, donc la vigilance s’impose. Mais pas question de laisser la garde des lieux saints à des moinillons en savate armés de leur seul chapelet. Bref, une troupe assurera cette mission et veillera sur la tranquillité des baptisés. Voilà comment naissent les Chevaliers de Saint-Jean. Des jeunes gens de bonne famille convaincus qu’il était sage de lire la Bible sans quitter son glaive du regard.

Statue Malte

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Armée européenne

Mille péripéties plus tard, l’heure de la revanche sonne pour les Ottomans. Voici les porteurs de la croix blanche à huit pointes cousue sur toile rouge boutés hors la Terre sainte par les tenants du vert musulman qui veulent asseoir leur autorité sur toutes les îles de Méditerranée orientale. Ils se réfugient à Rhodes d’où ils sont également chassés. Charles Quint, alors roi d’Espagne, leur tend une main secourable et leur offre l’île de Malte en 1530. Un refuge divin. Inspirés par les misères récemment subies, les Chevaliers fortifient leurs positions. La flotte ottomane arrive quand même, 160 galères et 30 000 hommes. Elle installe un blocus que Jean Parisot de La Valette et ses 800 Chevaliers brisent en 1565 sous les vivas du monde chrétien. L’Ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte comme il s’appelle désormais, tient ses murs, son royaume, son pays. Il le gouvernera durant 233 années.

Cette période de gloire rassemble sur l’archipel de 316 km² (huit îles dont trois sont habitées, Malte, Gozo et Comino) des communautés venues de France, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, d’Allemagne, du Portugal… qui, en se répartissant le pouvoir, constituent avant l’heure une sorte d’armée européenne. Chaque troupe s’installe avec les siens, soldats, l’intendance, les familles avec serviteurs et cuisiniers, les artistes, etc. Soit quelques milliers de personnes unies autour de la défense de la foi chrétienne, de la sécurité des routes maritimes et du commerce en Méditerranée. Le ciel, soit, mais ne pas négliger le doux tintement des écus au fond des poches.

Port de Malte

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Le chef-d’œuvre du Caravage

Débarquer à Malte aujourd’hui transporte immédiatement au temps des Chevaliers. Les fortifications et les demeures seigneuriales qu’ils édifièrent témoignent, intactes ou presque, de leur intention d’installer ici un phare du brillant savoir chrétien européen autant qu’une sentinelle maritime imprenable.

Le chantier des fortifications et de la construction des résidences patriciennes palais et habitations avait duré 5 ans, mais quel résultat ! La Valette, capitale de Malte, le plus petit état de l’Union européenne, est pratiquement telle qu’elle était à la fin du XVIème siècle, circulation automobile souvent désespérante en prime. Remparts solides comme l’éternité, avenues et rues rectilignes qui se croisent à angle droit (attention à l’ordre militaire), palais aux façades majestueuses, sculptées, surlignées de balcons de pierre (le chic de l’aristocratie locale), églises somptueusement décorées (le clergé veille sur son standing) accompagnent la visite. Comme avant.

procession Malte

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Illustration à l’abri de la co-cathédrale Saint-Jean (lors de sa construction en 1573, il y avait déjà une cathédrale à Mdina, d’où ce co du partage) dont le sol est tapissé par 374 plaques de marbres décorées, illustrées, gravées. Ce sont les pierres tombales d’autant de Chevaliers. Lever les yeux pour admirer le plafond peint qui représente la vie de Saint-Jean Baptiste, avant de faire silence suite au choc que provoque l’apparition du chef-d’œuvre de Caravage, La Décollation (lire la décapitation) de saint Jean-Baptiste. Poignant. Le grand tableau (5,20 m x 3,61 m) avait charge d’accompagner la méditation des futurs Chevaliers. Agenouillés devant et en prières, ils passaient ici la nuit précédant leur intronisation dans l’ordre. Le lendemain, ils devenaient à jamais des moines soldats. Voir aussi, juste en face, le remarquable Saint-Jérôme écrivant, un autre Caravage, une toile totalement dépouillée mais terriblement puissante. Ces trois merveilles justifieraient à elles seules le voyage à Malte.

Architecture de la Valette

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Rendez-vous des teufeurs

Pourtant les attraits ne manquent pas. Le palais des grands maîtres, par exemple, dont une partie abrite les bureaux de la présidence ainsi qu’un très agréable café avec terrasse extérieure ! Pousser les portes de la casa Rocca Piccola, l’authentique maison d’un Chevalier, histoire d’apprécier le luxe dans lequel vivaient ces messieurs. Evidemment, conclure par un verre du côté de San Julian’s et de Paceville, deux quartiers sans pierres séculaires mais rendez-vous de tous les teufeurs de la région. C’est ici en effet que sont concentrées le plus grand nombre d’écoles d’anglais pour collégiens ou étudiants européens poussifs, ainsi que les adeptes des séjours Erasmus.

 

 

Reste alors à prendre la route pour céder aux autres charmes maltais.

La campagne d’abord. Elle s’évade avec splendeur du côté des salines de Gozo et de la baie de Wied il-Ghasri, à moins de préférer le bel ordonnancement des jardins botaniques de San Anton. La mer ensuite. Les plages de sable sont rares, il faut donc se contenter des tapis de galets mais en admirant la couleur des eaux parmi les plus claires de Méditerranée. Une des plus belles se trouve en baie de Mgarr sur l’île de Gozo, vraie beauté nature en forme de carte postale. Brad et Angelina ont adoré. Ajouter aux plaisirs de ces criques dessinées pour les sirènes, celui d’une table pieds dans l’eau sur le petit port de Marsaxlokk. Les pêcheurs y accostent à bord des fameuses barques peintes de couleurs vives et frappée à l’avant d’un œil protecteur. Photo, s’il vous plait ! Le poisson est déjà dans l’assiette… Enfin, les amateurs de plongée apprécient les spots maltais, réputés pour leur population sous-marine autant que pour la clarté de leurs eaux. Viser alors les îles de Gozo (Xlendi, Xwejni, Mgarr, etc.) et de Comino (Santa Marija et l’épave du P31), sachant que plusieurs centres opèrent également sur l’île de Malte.

 

Mgarr ix-Xini

Olivier Metzger

 

Serment tenu

Pour conclure avec l’histoire, on retiendra que le règne des Chevaliers sur Malte s’est achevé avec la venue de Bonaparte à La Valette. Conduisant la flotte qui transportait sa troupe vers l’Egypte, il jette l’ancre ici le 10 juin 1798, pour se ravitailler en eau. Autorisation évidemment accordée par le gouvernement local mais à la condition quand même que les bateaux n’entrent dans le port qu’un par un. On n’est jamais trop prudent. Le futur empereur dut s’étrangler de rage face à l’outrage car il ordonna aussitôt la prise de Malte, y laissa une garnison de 3 000 dévoués qui confisquèrent toutes les richesses locales histoire de financer de prochaines guerres et ramena l’île dans le giron français. Pour une fois, les Chevaliers ne se défendirent pas. Depuis la nuit des temps, ils avaient fait serment de ne jamais attaquer la France.

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture : GettyImages