Aller jusqu’au nord pour en explorer le sud, un comble ? Stockholm, la côte ouest, la Dalécarlie, la Laponie, ce ne sera pas pour cette fois – la Suède a bien des cordes à son arc. La partie méridionale de ce grand territoire emprunte à l’Europe centrale un climat plus doux ; à la mer du Nord ses petites cabines colorées et des couchers de soleil en technicolor ; à la mer Baltique son eau très peu salée et des traditions de villégiature. Les cerfs altiers et les forêts denses sont bien là, que côtoient aussi des vaches, des vergers et des vignobles. Le Götaland est une terre de diversité.
Scanie des mers, Scanie des champs
Une fois n’est pas coutume, c’est par le Danemark voisin que l’on rejoint la Scanie. L’impressionnant pont Øresund émerge de l’île artificielle de Peberholm et survole la Baltique, Copenhague dans le rétroviseur, pour rallier la Suède et Malmö. Premières maisons à colombages, premier kanelbullar (brioche roulée à la cannelle et cardamome). Premier « château » aussi, dont l’appellation suédoise recouvre autant les imposants édifices médiévaux que des demeures plus modernes ou des bâtiments administratifs. Et cette tour torsadée qui fend le ciel, dans le nouveau quartier mi-portuaire mi-résidentiel de Västra Hamnen – la plus haute tour de Scandinavie. Nous découvrons rapidement que les Suédois ont un penchant pour les palmarès en tous genres, en particulier ceux qui leur attribuent « le plus grand » quelque chose, même à échelle relative.
Un crochet par la ville historique Lund, étonnamment décontractée, puis c’est l’appel du large. À la pointe sud-ouest du pays, du côté de Skanör med Falsterbo, on ne sait pas trop si c’est encore la mer du Nord ou déjà la mer Baltique. Les oiseaux nichent là en nombre, quelques vaches paissent face aux flots, les golfeurs peaufinent leur swing. Et les cabines multicolores s’alignent sur l’horizon, renfermant parasols et vélos qui serviront l’été prochain. En faisant route vers l’est, Ystad marque un autre arrêt charmant – rues pavées, maisons à colombages bordées de fleurs, petits cafés attrayants. À quelques kilomètres, grand écart spatio-temporel : en surplomb du petit port de Kåseberga, où une poignée de surfeurs tente de dompter les petits rouleaux, les 59 blocs de pierre du site mégalithique d’Ales Stenar se dressent, mystérieux, façon Outlander.
Patrik Svedberg/Visit Sweden
Repus de bourrasques, nous gagnons la Scanie des champs. Coucher de soleil sur la campagne de Simrishamn, où notre refuge pour la nuit compte parmi ces adresses d’initiés qui se chuchotent à l’oreille. Tout y est beau, soigné – c’est tout le raffinement suédois que l’on imaginait. Dans l’assiette, un concentré de saveurs : le meilleur de la mer et de la campagne, cuisiné avec précision et juste ce qu’il faut de créativité. En remontant la côte est, les vergers de pommiers s’étirent sur des kilomètres à la ronde. Kiviks Musteri, première ferme fruitière du pays (1888), accueille les visiteurs dans sa fabrique de cidre et ses jardins foisonnants de rouge et de vert. Une pomme dans une poche, une poire dans l’autre et le maillot dans le sac, c’est le moment de se lancer à l’assaut du parc national de Stenshuvud – collines boisées, jolies plages de sable et points de vue panoramiques à la clé. Une incursion dans les terres permet de rejoindre un site inattendu en pleine campagne scanienne : le parc de sculptures de Wanås Konst. En tout, ce sont plus de 70 œuvres d’art contemporain (sculptures mais aussi installations visuelles et sonores) qui jalonnent la forêt de hêtres entourant le château de Wanås.
Per Pixel Petersson/Visit Sweden
Blekinge et Öland : tous les charmes de l’est
Tout cela manquant un peu de faune, le cap est mis sur le comté voisin et la réserve naturelle privée d’Eriksberg, l'une des plus vastes du pays. À peine la barrière passée, un cerf majestueux surgit à quelques mètres de la voiture, aux aguets – le ton est donné. La devise des lieux est claire : ici, on vit on the animals’ terms! Les cerfs, mais aussi les bisons, les sangliers et une multitude d’oiseaux, sont ici chez eux. Chaque rocher, chaque pierre, chaque arbre raconte une histoire. Et au retour du safari, quel plaisir de s’octroyer quelques brasses dans la piscine panoramique…
Nous sortons de la réserve comme d’une parenthèse enchantée. Le centre historique de Karlskrona, classé à l’Unesco pour son architecture navale et militaire, ne marque pas la rupture de charme que l’on appréhendait. L’atmosphère est légère, décontractée. Sur la petite île d’en face, la communauté de Brändaholm déroule fièrement ses maisonnettes de bois rouge flanquées de jardins coquets et de drapeaux flottant au vent – une image d’Épinal de la Suède.
En chemin vers l’île d’Öland, nous nous arrêtons à Kalmar. Ah, là, c’est un château ! Avec, lors de notre passage, une reconstitution de joute équestre à grands renforts de cottes de maille et fanions colorés. Et, dans le joli parc attenant, le plus long banc de Suède. Tiens donc. À la sortie de la ville, un pont longiligne relie le continent à Öland, villégiature prisée des Suédois. Des moulins par centaines, de longues bandes de sable, des villages de poche et, surprise, le plus grand phare du pays. L’île, prise d’assaut l’été, retrouve son calme alangui aux arrière-saisons.
Småland, la Suède fantasmée
Dans l’imaginaire collectif, la Suède est associée à ses denses forêts emmaillées de lacs, desquels s’étirent quelques pontons bringuebalants où sont amarrés kayaks et saunas au feu de bois. Une carte postale qui, si elle évoque plutôt la Dalécarlie ou la Laponie, se retrouve aussi plus au sud du pays, dans le Småland. La région a d’ailleurs adopté pour slogan "La Suède pour de vrai" – une belle promesse. Pour la vivre pleinement, ce soir, nous dormirons perchés au milieu des sapins. Nouveau cocon d’exception : gestion familiale, projet riche de sens, esprit de partage. Et ces cabanes accrochées aux arbres, discrètes, soignées, poêle à bois et fenêtres panoramiques. Sur la table du petit déjeuner, des fleurs du jardin, du fromage de la ferme et la confiture aux prunes de la grand-mère. À l’heure du fika, les kanelbullar tout chauds sont incontestablement les meilleurs du voyage.
Nous ne l’apercevrons pas, mais l’élan, érigé en Suède au rang d’animal national, évolue librement dans les environs. Une poignée de fermes ouvertes à la visite propose de les observer de plus près. Nous reprenons la route, sinuant à travers les arbres hauts, seuls au monde. Au détour d’un virage, quelques vaches et d’inattendus pieds de vigne trahissent les latitudes moins élevées. À mesure que l’on se rapproche de la côte ouest, la végétation change, les feuilles se colorent. L’automne sera bientôt là.
Elena Isachenko
Halland, de mer et de lumière
Nous renouons avec la côte et les détroits danois, qui marquent la frontière naturelle entre la mer du Nord et la Baltique. Sur la péninsule de Kulla, les pictogrammes « site photogénique » de la carte ne mentent pas. Succession de villages de pêcheurs colorés surplombant des ports de poche, de falaises vertigineuses, de forêts épaisses et, contre toute attente là encore, de vignobles. La pointe, Kullaberg, est classée réserve naturelle : plusieurs sentiers permettent de rayonner autour du phare et tenter d’apercevoir phoques et dauphins. Nous préférons crapahuter à même les rochers, de grottes en criques protégées où il fait bon piquer une tête. Alors que nous rebroussons chemin, un troupeau de moutons nous coupe la route – flashback des côtes irlandaises. Dernière portion de route, en longeant le littoral vers le sud : le soleil couchant nous joue son plus beau spectacle.
Helsingborg et le retour à l’animation urbaine marquent la fin du voyage. En face, c’est le Danemark. En partant du Dunkers Kulturhus, intéressant centre culturel conçu par l'architecte danois Henning Larsen (à qui l’on doit par exemple l'opéra de Sydney), une longue promenade aménagée avec quelques plages et pontons, des restaurants et des aires de jeux rejoint le château de Sofiero (un dernier pour la route) et ses vastes jardins, royaume du rhododendron. En empruntant le pont Øresund dans l’autre sens, nous disons au revoir à la Suède en plongeant sous la mer. Au revoir, et à bientôt.
Par
CLARA FAVINI
Photographie de couverture : Oskars Sylwan/Unsplash