Érigées dès le Moyen Âge, ces demeures aristocratiques, aujourd'hui transformées en musées, en ambassades ou en hôtels, racontent une part d'histoire très parisienne. Visite guidée.
"Paris, 7e arrondissement. Au calme et à l'abri des regards. Hôtel particulier de 1830, onze pièces, 912 mètres carrés, volumes exceptionnels." Trouver un logement à Paris, suffisamment grand pour toute la famille, n'est pas forcément mission impossible. La solution se cache à coup sûr dans un recoin de ces demeures aristocratiques, bâties dès le Moyen Âge et fleurissant à la Renaissance. L'hôtel particulier, symbole du faste architectural parisien. "Le moyen d'afficher une réussite éclatante tout en constituant un refuge intime, où il (son propriétaire - ndlr) peut jouir de la ville sans en subir les désagréments, voir sans être regardé...", décrit l'historien Alexandre Gady dans le livre qui leur consacre (Hôtels particuliers de Paris, du Moyen Age à la Belle Époque).
Alixe Lay
Affichant des prix entre 2 et 15 millions d'euros, pour des surfaces allant de 250 mètres carrés au triple, l'acquisition d'un de ces lieux historiques n'est pas donnée au premier venu. Heureusement, il est possible de goûter leur atmosphère, de rêver sous leurs hauts plafonds ornés, le temps de quelques heures, voire d'une nuit. Sur les deux mille hôtels particuliers que comptait encore la capitale au XVIIe siècle, on en recense aujourd'hui à peine un quart. Répartis à travers les arrondissements, ils se dressent plus particulièrement dans certains quartiers, dont le Marais, protégés juste à temps de la voracité immobilière par la loi Malraux de 1962 sur le patrimoine historique. Si quelques hôtels restent le jardin secret d'heureux propriétaires privés, une majorité a été transformée en lieux culturels : des musées, des bibliothèques, des ambassades.
Patrimoine historique
Témoin d'un style architectural - classique, Renaissance, baroque, rococo, Art déco -, l'hôtel particulier s'apprécie d'abord depuis l'extérieur. Colonnes, balustrades, frontons, bas-reliefs sont marqués du sceau de grands architectes, appelés par le propriétaire à faire de sa demeure une exception. En 1548, Jacques de Ligneris, président du parlement de Paris, convainc Pierre Lescot, architecte fraichement nommé par François Ier pour rénover la résidence royale du Louvre, de bâtir également la sienne dans l'actuelle rue de Sévigné (Paris 4). La demeure passe ensuite aux mains de l'épouse du chevalier Kernevenoy, surnommé Monsieur de Carnavalet. Le nom restera. L'hôtel, lui, est transformé et agrandi par François Mansart, autre grand maître de l'architecture classique. En 1866, il est racheté par la Ville de Paris, qui en fait son tout premier musée, annexant au passage un second hôtel voisin, Le Peletier de Saint-Fargeau, remarquable par son orangerie. Le musée Carnavalet, réouvert après quatre années de travaux, réunit des centaines de milliers d'œuvres et d'objets iconiques de la ville et du pays : le nécessaire de campagne de Napoléon Ier, la montre d'Émile Zola, le lit de Marcel Proust... Un avant-goût de bon goût dans un quartier qui souffle les bonnes adresses déco à qui voudrait au passage revoir son intérieur.
Kate Devine
Lieux de vie
Derrière sa façade parfois discrète, niché au fond d'une cour, l'hôtel particulier ne se révèle bien souvent qu'une fois passée sa lourde porte d'entrée. Se dévoile alors une capsule de luxe rétro: escaliers monumentaux, jardins d'hiver, salons d'apparat. Le musée Nissim de Camondo (63 rue de Monceau, Paris 8) compose ainsi, au-delà de l'imposante collection d'arts décoratifs qu'il abrite, la reconstitution d'une demeure bourgeoise du XVIIIe. Poser le premier pas sur le sol à damier du vestibule, au pied de l'escalier d'honneur, vous propulse instantanément parmi les hôtes de Moïse de Camondo (1860-1935). Idem devant l'imposant fourneau en fonte bleuie de la cuisine mais aussi sur la terrasse du restaurant, Le Camondo, repaire contemporain de la bistronomie parisienne, auquel on accède depuis le musée par une porte dérobée.
Autres témoins extravagants : l'hôtel de la Païva (25, avenue des Champs-Élysées, Paris 8), sulfureuse comtesse prussienne, et non loin le musée Jacquemart-André (158, boulevard Haussmann), érigé lui aussi sous le Second Empire, en marge des grandes avenues tracées par le plan d'urbanisme haussmannien qui transformera à jamais le visage de Paris. Dans les anciens appartements de ce couple de collectionneurs d'art du XIX, le mobilier, les tapisseries et l'atmosphère sont intacts. Léguée à l'Institut de France à la mort de Nélie Jacquemart en 1912, la collection compte certains chefs-d'œuvre de la peinture italienne (La Vierge à l'Enfant de Sandro Botticelli) et flamande (Les Pèlerins d'Emmaüs de Rembrandt). Régulièrement invité à investir ces hôtels devenus musées, l'art entretient avec le lieu qui l'héberge un beau dialogue. Au musée Picasso (5, rue de Thorigny, Paris 3), on vient se frotter aux lignes déconstruites du maestro espagnol, déployées sur trois étages, autant qu'à la dissymétrie et aux courbes tendues de l'hôtel Salé, merveille d'architecture mazarine, sous l'influence baroque florentine. Au 5 de la rue Victor Schoelcher (Paris 14), l'hôtel particulier du décorateur Paul Follot, l'un des fers de lance du courant Art déco, héberge depuis 2018 l'atelier reconstitué d'Alberto Giacometti et l'institut homonyme. Une lucarne sur le Montparnasse de la Belle Époque.
Alixe Lay
Maisons d'artistes
Avant de les exposer, l'hôtel particulier a souvent été le lieu de création et de vie de nombreux d'artistes. Aujourd'hui, la plupart désertent le centre de la capitale pour les grands lofts de Montreuil ou de Saint-Ouen. En 1908, un sculpteur confirmé fait, lui, le chemin inverse, laissant son atelier de Meudon pour s'installer dans le 7e arrondissement. Derrière les grandes baies de l'hôtel Biron, face au jardin à la française, Auguste Rodin trouve la lumière idéale pour installer ses œuvres. Aujourd'hui, le musée reste l'un des plus romantiques de la capitale, avec entre autres celui dédié à la vie romantique (16, rue Chaptal, Paris 9), lui aussi ancienne maison particulière du peintre hollandais Ary Scheffer.
Les jardins et les salons de l'hôtel Biron sont dorénavant convoités par d'autres créateurs qui y font défiler leurs collections, et transforment en catwalk, deux fois par an, le trottoir du 77 rue de Varenne, sous le regard stoïque du Penseur. À l'opposé, la quête de discrétion cristallisée dans l'hôtel particulier pousse certains artistes à attendre de tirer leur révérence avant d'ouvrir leur porte d'entrée. Au 5 bis rue de Verneuil (Paris 6), on peut ainsi depuis peu visiter la maison particulière de Serge Gainsbourg.
Kate Devine
Des hôtels très particuliers
Le luxe discret, "quiet luxury" en anglais, s'affirme comme la nouvelle niche dorée de l'hôtellerie parisienne. Exit les arrivées clinquantes sur le parvis des palaces, l'élégance rime désormais avec discrétion. Et l'hôtel particulier de retrouver sa fonction. Illustration par la façade sans enseigne de l'hôtel de Pourtalès (7, rue Tronchet, Paris 8). L'ancien club privé fait oublier les malheureux bijoux de Kim Kardashian, et offre à une poignée d'hôtes triés sur le volet onze bulles néo-Renaissance. Même esprit d'exclusivité à la Maison Villeroy, à La Réserve, ou au 1 Place Vendôme, dernier joyau de la maison Chopard (et première incursion du joaillier dans l'hôtellerie) au sein duquel boiseries, cheminées en marbre de Calacatta et lustres font écho à ces maisons bourgeoises du XIXe siècle. Un voyage dans le temps parisien qui n'a pas de prix. Ou presque.
In the mood
La Seine, argentée, coupe la capitale en deux. Rive gauche, "Paris sera toujours Paris" fredonne Edith Piaf. Les cafés (des Deux Magots, de Flore, La Rotonde, La Closerie, Le Select) y sont centenaires et les institutions légendaires. Depuis les berges, bouquinistes, Beaux-Arts, puis Sorbonne, boulevard Saint-Germain, Bon Marché et la si belle rue de Babylone. Sur le pavé, réalité et fiction se mêlent, vous apercevez les amours contrariées de Truffaut, Cléo de 5 à 7, Jean-Paul et Simone remontant la rue Bonaparte, les Amants de Louis Malle, Françoise Sagan sortant de L'Écume des Pages et Godard, à bout de souffle, rue du Bac. Vous sautez dans le bus 24 et traversez le Pont-Neuf, panoramas éblouissants et changement de décor. Sur cette rive droite, "Paris est une fête", s'époumone Hemingway ! Déjeuner rapide au Café Verlet, shopping raffiné chez Astier de Villatte.
Alixe Lay
Au Palais-Royal, vous chinez chez Gabrielle Geppert. D'un coup de vélo, vous filez au nord, grimpez la butte, prenez l'apéro au Rêve, déambulez avenue Junot et dévalez les marches de Montmartre. Pour le diner, ça se passe à Belleville ou le long du canal Saint-Martin. Le lendemain, dégustation matinale d'huîtres au marché d'Aligre, visite des galeries Ropac, Perrotin, Templon, et pérégrinations muséales dans le Marais. Vous terminez la journée au vert, Buttes-Chaumont ou colline Bergeyre, Paris à vos pieds et des souvenirs plein la tête.
Photographie de couverture : Kate Devine