Toujours plus haut, plus grand, plus fou. Et beaucoup plus cher. Dubai fait du XXL sa ligne de vie. Le petit émirat du Golfe persique érige l’excès en argument touristique, mariant dans un même feu d’artifices Mickey et Vegas, Manhattan avec Aladin. La baguette de la fée pétrole effleure les rêves les plus fous, bling, ils deviennent aussitôt réalité, bling. A voir, le temps d’une escale ou bien d’une escapade, histoire de juger sur pièces.
Deux vigiles, deux colosses au costume noir impeccable, veste boutonnée, visage de marbre, oreillette et lunettes noires, veillent. Prière de ne pas toucher et se tenir à distance. Leur mission : garder une paire de chaussures. Elle est actuellement la plus chère du monde, 17 millions d’euros quand même, et est exposée dans un palace de l’Emirat. Elles sortent d’un atelier italien dont les petites mains ont assemblé et cousu cuir, soie, or et 238 diamants. Pas de souci, bien vite, un habitué de l’établissement désignera du doigt les stilettos, entre deux plissés de sa djellaba blanche. Le soir même, une Cendrillon les fera claquer sur le marbre de son palais des sables. A Dubai, l’extraordinaire n’a d’autre vertu que de pimenter, un peu, l’ordinaire.
Peter Bialobrzeski/LAIF-REA
Cocktail à 5 000 euros
Après cette vision des mille et une nuits, direction le bar de l’établissement installé à 200 mètres de hauteur, vue panoramique sur toute la ville, pour y siroter un cocktail à 5 000 euros. Whisky rarissime et hors d’âge, verre en or, touillette prise sur le tonneau qui conserva le nectar. Il y a peu, on pouvait doubler la mise avec un breuvage à base de cognac d’exception servi dans le cristal avec des paillettes d’or. Il avait été décidé qu’il ne serait composé que dix fois, chaque verre étant numéroté. Ce qui fut fait en quelques semaines.
Lutz Jaekel/LAIF-REA
Née des sables dans les années soixante-dix, Dubai (2,8 millions d’habitants dont 85% d’étrangers et 3 113 km²) avance à marche forcée. Cheikh Mohammed ben Rachid Al Maktoum veut élever ici le phare du Proche-Orient et mieux encore. Résultat, le ballet des grues et des camions-benne ne cesse jamais, nuit comprise. Des centaines de tours s’en vont piquer le ciel, parmi elles, plus de 600 hôtels dont, évidemment, « le plus haut du monde », 75 étages culminant à 356 mètres de hauteur, ainsi que la plus célèbre de toutes, Burj Khalifa, le gratte-ciel dont les paramètres défient la raison autant que les lois de l’architecture : 828 mètres de hauteur, on n’a jamais construit plus élevé, 164 étages, un restaurant au 122ème, oui, « le plus haut du monde », et une plateforme d’observation au 124ème, évidemment, « la plus haute du monde ». Ascenseur façon fusée, réservation obligatoire sur Internet et budget pour une famille de quatre autour de 200 euros, mug souvenir et photo devant les vitres avec le monde, si loin tout en bas, inclus. Cette tour que Tom Cruise escalade avec ses gants-ventouse dans Mission : impossible 4, est devenue le centre de la ville, son cœur vibrant. D’autant que ses concepteurs l’ont entourée d’un univers suffisamment festif pour qu’il évite d’aller voir ailleurs plusieurs journées d’affilée.
Un centre de 1 200 boutiques
Oubliée la fameuse piste de ski (85 mètres de dénivelée et des pingouins le long du parcours), le palmier géant artificiel posé sur l’océan Indien portant au bout de son tronc ce curieux hôtel rose à la silhouette de pâtisserie anglaise, son bassin à dauphins et le restaurant installé au cœur d’un aquarium géant, négligée la peinture murale qui court sur 2 kilomètres de long, le souk de l’or, la mosquée célèbre pour son tapis de prière, 5 700 m², qui dit mieux ?, les escapades en 4X4 sur les vagues de dunes qui rebondissent aux portes de la ville, cocktail servi avec le soleil couchant, la quinzaine de parcours de golf … Tout ces trésors, on les verra plus tard.
Pour l’heure, après avoir admiré la Terre du haut des 450 mètres de la plateforme d’observation ou depuis le restaurant de Burj Khalifa, œil rond garanti devant ce spectacle exceptionnel, retour aux affaires assez peu ordinaires concoctées sur le plancher des camélidés.
The New York Times/REDUX/REA
Juste au pied de la tour sans fin, voici le Dubai Mall, un peu plus qu’un centre commercial. Oui, « le plus grand du monde ». Son dôme totalement climatisé de 1,1 million de mètres carrés abrite 1 200 boutiques, 160 restaurants qui ne servent pas la moindre goutte d’alcool ainsi que 22 salles de cinéma, une patinoire, un parc d’attractions et, fin du fin, un aquarium, oui…, pas mieux sur la planète que ces 10 millions de litres d’eau, 30 000 pensionnaires, du requin à l’hippocampe, raie manta autant que murène. Effet wahou légitime lorsqu’on passe devant le mur d’eau qui le révèle, 32,88 mètres de longueur sur 8,30 mètres de hauteur. Puis, emprunter le tunnel sous-marin glissé sous l’eau. Il permet de marcher au sec pendant que des milliers de poissons virevoltent tout autour des visiteurs.
Quant aux boutiques, elles enchantent bien au-delà des accros du shopping, tant elles cultivent l’art de la mise en scène. Savoir quand même que les étiquettes ne présentent pas le moindre intérêt par rapport à celles de Paris, Manhattan ou Singapour. Mondialisation, quand tu nous tiens… Toutes les marques planétaires, vêtements, montres, maroquinerie, parfums, bijoux, etc., ont ici leur cascade de néons et leurs vendeuses tout sourire. Sans parler du quartier réservé aux griffes de grand luxe, on se croirait sur Melrose à moins que ce soit avenue Montaigne. A moins de préférer celui, il est immense, dédié aux souliers. Des milliers de mules, escarpins, bottines, sandales et autres ballerines, à donner le rouge vif de certaines semelles à sa carte de crédit joliment dorée.
Le tourbillon du Shopping Festival
Comme chaque année, le Mall connaîtra sa consécration entre le 26 décembre 2018 et le 26 janvier 2019. Place alors au Dubai Shopping Festival. Un délire marchand soutenu par des soldes vertigineux, 20%, 50%, 70% au final, des tombolas quotidiennes dotées de lingots d’or, de voitures de luxe, de voyages de rêve, ajoutés à des événements musicaux et sportifs, des feux d’artifices grandioses, des parades, etc. Place à la fête, aux paillettes, à l’argent-roi qui, affirme le credo local, promet tous les bonheurs. Alors, il sera temps de faire la pause.
visitdubai.com
Juste entre le Mall et la tour Khalifa, opter pour les bancs qui entourent le lac artificiel de 13 hectares. D’ordinaire, ses eaux plates jouent le miroir des infinis. Mais chaque soir à 18 heures pétantes, voilà qu’elles prennent vie. Plus de 6 000 projecteurs s’allument et 80 000 litres d’eau sont projetés dans le ciel, en rythme, sur des musiques de Michael Jackson, de Prince ou de Pavarotti. Circonvolutions lascives, arabesques mystérieuses, jets puissants qui filent droit sur les étoiles, sinusoïdes légères, large éventail ou simples virgules vite gobée par la nuit. La féerie dure 5 minutes. Elle sera régulièrement répétée jusqu’à 22 heures. Ce pur moment de poésie que reflètent mille parois de verre et d’acier devient le plus beau spectacle de Dubai. A en oublier les outrances de l’or, qu’il soit noir ou 22 carats. La preuve, il est gratuit.
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographie de couverture
PETER BIALOBRZESKI/LAIF-REA