Sa végétation luxuriante fascine les botanistes depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, ce sont des explorateurs d’un genre nouveau – parfumeurs, grands chefs et maîtres chocolatiers – qui viennent y trouver l’inspiration. Et mettre à l’honneur ylang-ylang, vanille, poivre et cacao…
Il flotte parfois dans l’air de New York ou Paris une note tropicale salée. Sur les plus belles avenues du monde, on peut sentir l’un des parfums emblématiques de Dior diffuser des molécules du lagon de Nosy Be, gouttes d’île déposées au septentrion de Madagascar. À l’origine de cette alchimie : François Demachy, nez attitré de la maison depuis quinze ans. Comme beaucoup de parfumeurs-créateurs, l’enfant de Grasse a trouvé sur Mada un jardin dans lequel puiser la matière première de ses jus. L’ylang-ylang, un arbre aux fleurs étoilées, au jaune aussi pâle que son odeur proche du jasmin est puissante, fait partie des trésors qu’offre la forêt malgache.
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Un siècle plus tôt, le botaniste Henri Perrier de La Bâthie notait : “Cette flore primitive est essentiellement arborescente et d’une richesse inouïe en espèces, toutes ou presque endémiques.” Académicien des sciences venu sur la Grande Île prospecter l’or, il revint les bras chargés d’une unique collection botanique, zoologique, géologique, recensant déjà près de 6 000 espèces végétales. Un patrimoine naturel qui continue chaque année de livrer ses secrets. En 2020, treize orchidées encore jamais rencontrées ont été recensées, portant à près de mille le nombre d’espèces locales. Au-delà de la concentration, c’est la qualité de l’élixir que les professionnels les plus exigeants viennent chercher ici. Récoltés à la main par les femmes de l’île, au lever du jour – quand leur parfum atteint son paroxysme –, les pétales d’ylang-ylang sont immédiatement plongés dans les cuves de la distillerie centenaire de Nosy Be, surnommée “L’île aux fleurs” par les Malgaches. Le premier jus, le plus pur, s’envole ensuite vers les laboratoires de Grasse et d’ailleurs pour être sublimé.
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Réputée bon marché, la fleur des fleurs (traduction de ylang-ylang) fait vivre 40 % de la population de Nosy Be. Une valeur incontestable, mais loin de celle de l’or noir de Mada, la vanille, dont le pays exporte plus de 2 000 tonnes par an. Dans son sillage, lavanila révèle les autres richesses épicées de la Grande Île – poivre, cannelle, girofle, vétiver… – qui embaument l’air, comme sur l’île de Sainte-Marie, ancien fief de pirates posté sur la route des Indes. Trois siècles plus tard, ce sont les grands nez et palais de la planète qui ont flairé l’île aux trésors.
Du jardin à l’étuve
Installé depuis 2008 dans la région de la Sava, le laboratoire Symrise est l’un de leurs repaires. Botanistes, ingénieurs agronomes et horticulteurs travaillent ici, du jardin à l’étuve, pour extraire les meilleures essences. Parmi les dernières trouvailles : le longoza (“éternel”), une plante qui s’épanouit dans la région est et sur les hauts plateaux et dont le parfum citronné évoque un mélange de gingembre et de cardamome. Autre vedette : le voatsiperifery, poivre sauvage qui a trouvé le chemin des cuisines de la cheffe Anne-Sophie Pic et garni les étagères d’Olivier Roellinger. Le maître chocolatier François Pralus a, lui, trouvé sur Nosy Be la base idéale pour planter ses cacaoyers : 25 000 arbres maternés depuis la pépinière qui donnent un criollo grand cru.
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Croquer, goûter, humer un peu de l’Île rouge, est sans doute le plus beau cadeau de ces grands créateurs, car comme l’évoque François Demachy : “Le cerveau, pour mémoriser une odeur, garde tout ce qui est autour de celle-ci : le lieu, les gens, la lumière.” Une chance pour celles et ceux qui ont voyagé à Madagascar et rêvent d’en garder le parfum.
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