« Docteur, si vous me laissez boire cette tequila, je vous promets de ne rien boire à mon enterrement » clamait Frida Kahlo. C’était sans compter sur la population, ses amis, ses admirateurs qui eux ont trinqué et honoré son âme durant le très festif Día de Muertos.
Dire que nous commémorons plus que timidement nos défunts est un euphémisme. Dire que les mexicains fêtent leurs morts est plus qu’une litote. Entre choc des cultures, chope de tequila et syncrétisme religieux, au Mexique les cimetières se transforment en piste de danse géante, les tombes en comptoirs improvisés le tout tapissé de Cempasuchil (fleur de la mort) tout en faisant le bisou à une Catrina. Tout cela peut nous sembler étrange. Tellement étrange qu’on se croirait (presque) dans les Noces Funèbres de Tim Burton.
Bienvenue au Mexique, où la joie côtoie la Mort telle une farce que l’on fait lorsqu’on se moque de ce qui peut bien nous arriver. Dans la cosmologie mexicaine, la mort n'est pas la fin, mais le début d'un voyage.
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L'Histoire
La Fête des Morts ou Día de Muertos est une fête nationale qui existe et subsiste depuis plus de 3000 ans. Durant cette période, le culte des morts est mythifié dans l’allégresse. Chaque année, des autels en l'honneur des proches décédés sont dressés dans toutes les maisons mexicaines. Des murs extérieurs à l’intérieur des foyers, tout est décoré et fleuri en l’honneur des âmes voyageuses, des découpages en papiers (papel picado), des têtes de mort en sucre (calaveras) ou encore du mezcal (ça dépend des goûts) mais surtout des plats préférés du défunt prennent place sur les autels. Le dernier jour, fêtes et banquets sont organisés dans les cimetières à l'occasion de ce qui est une des fêtes les plus importantes de l'année. Les âmes des défunts sont chéries, choyées, chantées, accompagnées puis raccompagnées lorsque la fête est finie.
Olivier Romano
La mort est une fête
Inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco et dans l'Inventaire du patrimoine culturel immatériel français, el Día de Muertos, c’est trois jours de festivités à la fois sacralisées et codifiées, entre coutumes aztèques et croyances catholiques.
Save the date
La nuit du 31 octobre au 1er novembre est consacrée aux « angelitos » (enfants morts). Le matin du 1er novembre (Jour de la Toussaint) est dédié au petit-déjeuner des "angelitos". C'est ensuite pour les défunts adultes que de nouvelles offrandes sont déposées sur les autels. Le 2 novembre, lors de la commémoration des défunts, les Mexicains vont d'un cimetière à l'autre en jetant des pétales de fleurs et en allumant des bougies afin de guider les âmes vers les tombes.
Olivier Romano
Les Autels
Les familles installent des autels (altares) dans leurs maisons pour offrir aux âmes disparues leurs aliments préférés comme d'autres marques d'amour et de souvenirs. Certains autels respectent strictement les rituels préhispaniques qui se composent de 7 étages, représentant ainsi les 7 étapes que doit traverser l'âme défunte avant de pouvoir trouver le repos :
- Un portrait du défunt qui honore la partie la plus haute de l'autel.
- Des objets personnels, pour lui signifier notre amour.
- Les calaveras, ces crânes en friandises ou en plastique pour décoration avec le nom du défunt inscrit sur le front.
- Des bougies et la cempasuchil. Blanches pour les enfants et oranges pour les adultes. Cette fleur endémique du Mexique est un symbole du rayonnement du soleil, considéré comme l'origine de tout.
- Du papel picado, décoration très populaire en papier découpé prenant la forme de squelettes et de crânes.
- De l'encens fortement parfumé pour dissiper les mauvais esprits et du copal, symbole du passage de la vie à la mort.
- Enfin, les plats préférés, entre sucreries pour les enfants (le pan de muerto ou des têtes de mort en sucre) ou cigarettes, tequila, bière pour les adultes.
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Les Rituels
Au Mexique, La Catrina, figure emblématique en papier mâché coloré est devenue au cours du XXème siècle l’icône populaire de la fête des Morts et par extension de la culture mexicaine. Le grand rituel au Mexique lors de la célébration des morts s’accompagne de parades, de chants, de danse, de carnavals, et de grands repas festifs.
The death break
Les festivités du Día de Muertos se déroulent dans tout le pays et chaque Etat la fête différemment. Il n'y en a pas deux qui se ressemblent mais ce qui les unit, c’est cette célébration colorée et magique au delà de ce que l’on peut imaginer ou vivre en Europe, le tout auréolé d’une véritable et authentique émotion. Victime de son succès cette fête est aussi devenue l’une des préférées des touristes. Voici donc quelques spots de-ci de-là pour copiner avec la mort et peut-être répondre à cette question qui nous taraude : Comment honorer la vie quand la mort est une fête ?
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L’État de Michoacán, dont la réputation n’est plus à faire et plus précisément la ville de Pátzcuaro et ses alentours. Baladez-vous sur la Plaza Vasco de Quiroga à Pátzcuaro, où elle est encore fêtée avec le plus de rituels et de solennité. Un peu plus loin, les célébrations de l’île de Janitzio sont aussi très réputées et attirent chaque année des milliers de visiteurs. Les cérémonies, les offrandes aux morts se déroulent dans l’ancien cimetière, derrière l’église principale où les cierges sont allumés à profusions presque cachées par les fleurs.
Les autres villages de la région sont plus inconnus des touristes, ce qui permet d’assister à des fêtes plus authentiques à l’empreinte religieuse intacte. Comme à Cucuchucho où les femmes habillées de leurs plus beaux apparats préparent autels et offrandes et veillent jusqu’au petit matin pour entretenir les cierges allumés.
Le festival Mictlán à Xalapa, au Veracruz. Un festival réputé pour sa grande diversité. Sur cinq jours de représentations ininterrompues ce festival invite le spectateur à s’aventurer dans un monde onirique. Cryptes, tombes et mausolées constituent des scènes uniques pour le Festival Mictlán, qui invite les artistes de théâtre, de musique ou de danse à présenter leurs créations scéniques et culturelles.
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Le festival de lumière et de la vie à Chignahuapan, Puebla. Un vrai tourbillon lumineux, entre mysticisme et émotions. Des centaines de personnes éclairent et se déplacent autour de la scène flottante du lagon, avec bougies, torches, et des milliers de lumières vacillant dans les airs ou dans l’eau, accompagnés de feux d’artifices éblouissant et de musique. Envoûtant.
Enfin, Mexico City. Incontournable bien entendu. Infiniment plus populaire depuis le dessin animé Coco et surtout depuis la sortie de Spectre, le James Bond de Sam Mendes (2015), qui commence avec une scène mortelle de parade du Día de Muertos. Bon à savoir : cette parade de la Fête des Morts du début du film n’existait pas dans la réalité. Ce n’est qu’en octobre 2016 que le gouvernement mexicain décida, en hommage au film, de l’instituer réellement. Dingue. Et dans les jours qui précèdent le 2 novembre, Mexico propose à ses artistes de donner libre cours à leur créativité, en créant un cimetière temporaire à l’intérieur duquel ils vont créer différentes formes d’art : des sculptures géantes, des fresques au sol, des tapis de sable ou de fleurs, des chorégraphies et des hommages à des écrivains, des artistes ou des célébrités récemment disparus.
La Fête des morts se vit, s’amuse, se danse, se prie et ce jusqu’à l’aube. C’est seulement et uniquement au Mexique que la mort prend des couleurs de fête sacrée ou comment l’art (populaire) fait vivre la mort.
Par
PAULINE PINSOLLE