Au coeur de Mexico City, les jardins flottants de Xochimilco fournissent en fleurs et légumes les grandes tables de la capitale et celles des Chilangos. Nommées chinampas, ces cultures aquatiques extrêmement productives, à la croisée entre permaculture et aquaponie, sont un héritage direct de la civilisation aztèque.
Dans les assiettes du Pujol et du Máximo Bistrot, deux des plus fameuses tables de Mexico City, carottes jaunes et fenouils doux parlent de racines. Sans prétention, les leurs constituent un lien direct entre le Mexico du XXIe siècle et Tenochtitlan, capitale de l’Empire aztèque fondée sur une île du lac Texcoco en 1325, suivant la prophétie divine. Un terreau fertile que les conquistadors espagnols n’hésitèrent pas à écraser deux siècles plus tard pour y implanter les bases de l’actuelle mégalopole.
Le parc de Xochimilco, environ vingt kilomètres au sud du Zócalo (la place de la Constitution, située dans le centre historique de la capitale), reste ainsi l’un des rares vestiges préhispaniques de Mexico DF. Un quartier lacustre sur lequel, chaque week-end, les touristes se pressent de monter à bord des trajineras, ces barques à fond plat colorées, pour une respiration végétale dans l’une des plus grandes villes du monde. Rythmé par les mariachis et le parfum du maïs grillé, ces déambulations au gré des canaux révèlent d’autres secrets que celui de l’axolotl, ce drôle d’amphibien capable de s’autorégénérer.
Alix Pardo
Sur ces îlots créés de toutes pièces par les Aztèques à partir de sédiments ancrés au fond du lac et protégés du vent grâce à des clôtures de saules, se perpétue une ancestrale technique agricole. Le chinampas, d’étroits jardins flottants, furent pour les premiers habitants un exceptionnel moyen de transformer une terre marécageuse en un potager prolifique. Grâce à cette “terre éponge”, les cultures puisent directement leurs besoins en eau dans le lac, permettant de produire annuellement jusqu’à sept cultures différentes, treize fois plus que sur la terre ferme. De quoi nourrir en partie la population d’une Venise aztèque qui, à son apogée, abritait 250000 âmes. Cinq siècles plus tard, lorsque la pandémie de Covid-19 a mis à l’arrêt les plus gros marchés de la capitale, une part des 22 millions de Chilangos a redécouvert ces chinampas pour s’approvisionner en produits frais.
Un système alimentaire plus sain et un biotope protégé
Avant eux, certains leaders de la nouvelle cuisine mexicaine, comme Eduardo García ou Enrique Olvera, avaient flairé l’intérêt des choux, laitues, et autre épazote (une puissante herbe aromatique) de Xochimilco. Une revanche pour ces petites parcelles longtemps grignotées par l’appétit des promoteurs avant que le site ne soit protégé par l’Unesco et l’expropriation rendue plus difficile grâce au travail des associations.
Alix Pardo
Une preuve d’efficacité aussi pour cette agriculture locale séculaire qui génère “un système alimentaire plus sain et plus fiable”, commente Lucio Usobiaga, fondateur d’Arca Tierra. Créée en 2010, l’association soutient les fermes flottantes suivant plusieurs axes : regrouper les familles de chinamperos en coopératives, faciliter le contact avec leurs clients potentiels, mais aussi protéger un biotope et développer la permaculture sur le terreau initié par leurs ancêtres. Une démarche aussi fertile qu’utile.
Photographie de couverture : shipfactory/Getty Images/iStockphoto