C’est la caisse de résonance de l’Amérique. Là où se sont joués de grands morceaux d’une Histoire parfois douloureuse et où parallèlement, sont nés des courants musicaux majeurs. Sur la route de Memphis, à la source du Mississippi, dans les méandres des bayous de Louisiane : plongez dans le Deep South.
Hier encore, Atlanta, capitale du nouveau Sud, nous abreuvait de Coca-cola et de hip-hop avant un passage solennel et contrastant au mémorial Martin Luther King Jr. Un symbole pour cette région marquée par l’esclavage enfin aboli par la guerre de Sécession en 1865 puis, près d’un siècle plus tard, par la lutte pour les droits civiques de sa population noire, emmenée par le pasteur assassiné en 68, ou encore par Rosa Parks à Montgomery dans l’Alabama voisin. Ainsi, le Sud de la Bible Belt bien pensante vit avec ses anciens démons. Des fantômes que la musique a aidés à dompter, réunissant noirs et blancs au-delà des partitions.
Sur la route de Memphis
Parenthèse country à Nashville : hommage à Johnny, Dolly, Hank et tous les autres au Country Hall of Fame puis dans les bars de Printer’s alley et de Second street.Le lendemain, sur la route de Memphis, WRBO 103.5 FM lance un Be thankful for what you got de Williams DeVaughn et nous bénissons l’arrivée dans ce grand berceau du blues, de la soul et du rock. À Beale Street, la messe est dite. Nous sommes au BB King club, temple de l’un des rois du Blues, né dans les plantations de coton d’Indianola et qui toucha sa première guitare pendant l’office. Un parcours partagé par de nombreux bluesmen et reines du gospel qui se firent un nom dans cet ancien quartier d’affaires noir. C’est aussi ici, qu’au début des années 50, un adolescent blanc vint acheter ses vêtements pour ressembler à ses idoles noires, avant d’enregistrer son premier succès chez Sun Records : Heartbreak hotel. Le mythe Elvis était né. Visite des studios Stax fondés en 57, autre pépinière de talents (Otis Redding, Isaac Hayes) puis passage à Graceland, dernière demeure du King, avant de prendre la route de son état natal.
©Memphis Travel OT
« Bottle up and go »… Mississippi
La voix de John Lee Hooker nous accompagne le long du « boulevard des Amériques ». Là où lui et le Delta blues sont nés, avant de fuguer vers un Nord plus tolérant. Le long du fleuve défilent plantations de coton, de tabac et de cannes à sucre. Détour littéraire par Oxford. Derrière sa place centrale bordée d’échoppes en bois, on palpe l’âme shakespearienne de son université de briques rouge. Passage à la librairie Square books, point de ralliement des plus grands écrivains américains depuis 1979 puis à Rowan oak, domaine d’un autre William : Faulkner, qui écrit le Sud comme personne. Après lui, de nombreux auteurs (John Grisham, Ace Atkins, Tom Franklin) ont trouvé ici refuge et inspiration. Avant eux, les histoires de Mark Twain, Tennessee Williams, Truman Capote, se sont également nourris à la source du Mississippi. La nôtre se poursuit de l’autre côté de l’ Ol’man River , en Louisiane.
©Olivier Metzger
French Soul Louisiana
Natchitoches. Le nom rebondit comme les noix de pécan sur ses plaines. Devant les demeures XVIII et un plat d’écrevisses, on écoute, amusé, la serveuse nous parler de ses ancêtres versaillais. Trois siècles plus tard Louis XIV serait fier d’entendre encore parler la langue de Molière dans cette région à laquelle il donna son nom. Malgré ses parfums d’iode et de vase, ses alligators, ses saules couverts de mousse espagnole et sa cuisine créole, le Bayou State nous est profondément familier.
©William Widmer/REDUX-REA
D’ailleurs ici, on vous reçoit toujours comme le lointain cousin. Pour plus de dépaysement, nous aurions pu filer, droit dans nos bottes, au Texas voisin, nouvel eldorado du shopping et de la randonnée. Nous préférons Lafayette et une soirée « fais dodo », bercés par l’accordéon cajun du Zydeco. Baton Rouge : la River Road est bordée des plantations qui au XIX firent de la Louisiane la perle de l’Amérique. Les maisons de maîtres, comme celle de Bocage Plantation où nous passons la nuit, en témoignent. Enfin, Way down yonder in New Orleans : la trompette de Louis Armstrong annonce notre arrivée à La Nouvelle Orléans. Devant une scène jazz de Marigny, notre voyage s’achève en apothéose musicale métissée.
Par
BAPTISTE BRIAND
Photographie de couverture : Chang W. Lee/The New York Times/REA