Espagne

Délices de Galice

Délices de Galice

A la pointe nord-ouest de l’Espagne, cette région revendique son tempérament atlantique et ses sources celtes. Corrida et flamenco, très peu pour elle. Entre pêche, granite et terre rude, découverte d’une révélation du séjour en Espagne.

 

Un repaire de voileux baptisé Sanxenxo, on prononce comment ? Accès en avion depuis Vigo, c’est où ? Capitale de la province, La Corogne, ah bon ? Caractère celte affirmé, sans blague ? Bref, voici une autre Espagne, un pays en soi. La géographie explique sa singularité : la Galice est bordée au nord comme à l’ouest par l’océan, immense, infini, c’est lui qui la dota de générations de pêcheurs, de marins et d’aventuriers.

 

Falaises de Galice

Getty Images/iStockphoto

 

Au sud, elle se frotte au Portugal, un autre monde, ailleurs. On comprend mieux que cette région adepte de discrétion et de simplicité, garde les yeux tournés vers le large ou vers le ciel plutôt que du côté de la noble Madrid, de la fantasque Barcelone ou de Malaga la flambeuse. Ici, on est mains calleuses et visage tapé par les embruns, chapelles silencieuses et croix de pierre fichée au bord du chemin. Austère ? Mais non. Vrai et sincère, voilà tout.

 

La prière est gratuite

Illustration avec sa star, son étoile, sa gloire, Saint-Jacques-de-Compostelle. Ailleurs, cette mère de tous les pèlerinages (environ 2 000 kilomètres depuis le parvis de l’abbaye de Vézelay dans l’Yonne, compter trois bons mois à travers pâtures) aurait été transformée en parc d’attractions : l’authentique bâton de marche avec vos initiales gravées, prix cadeau, la parka floquée Saint-Jacques, elle est soldée, le mug rehaussé d’une jolie coquille, on liquide, les étals de médailles en toc, servez-vous. Ici, la solennité reste de mise.

 

Parador de Santiago de Compostela

Parador de Santiago de Compostela

 

Les vainqueurs de l’épreuve, Japonais en formation serrée, Américaines avec toutou en laisse, accros du VTT ou fiers d’avoir conclu en courant, promeneurs plus sages qui étalent leur dialogue avec l’ailleurs sur plusieurs années, se retrouvent sur le parvis de la cathédrale du XIIIème siècle. Accolade, effusions, explosion de joie, « On y est arrivé, on l’a fait ! ». Graal et Nirvana dans un même bonheur d’avoir transcendé l’ordinaire. Eux-mêmes, surtout. Nul n’est obligé d’assister à la messe, célébrée chaque deux heures le dimanche. Lumineuse, poignante, grandiose. La prière est gratuite.

 

La marina Juan Carlos

Soixante kilomètres plus au sud, une autre cérémonie sera célébrée demain matin. Direction Portonovo, port de pêche miniature resté totalement dans son jus. Chaque petit matin, teuf-teuf pour les uns, coup de sirène pour d’autres, les petits chalutiers rois de la sardine déposent à même le quai leurs prises de la nuit. Les paroles sont rares, on préfère la tape dans la main et le regard clair, le vacarme des mouettes empêcheraient de s’entendre. Vendu ! Les restaurateurs de la région s’en régalent d’avance. Pour le reste, il suffit de pousser jusqu’à la criée où ruissellent raies, maquereaux, sardines et merlus. En bordure des étals se trouve le café Lonxa, une institution. Ambiance d’un autre temps, les pêcheurs y ont leur chaise, coup de rouge et soupe de lentilles aux lardons, pendant qu’en cuisine grillent les sardines et mijotent les zamburinas, des coquilles saint-jacques miniatures. On en redemande.

 

Madame de Siltar

Source : Instagram

 

Via une promenade verte de 500 mètres de longueur, Portonovo est reliée à Sanxenxo, prononcer comme on peut, charmante station balnéaire de 5 000 habitants, dessinée le long d’une baie en arc-de-cercle quasi parfait, tapissé par une plage magnifique. Seul les téméraires vérifient la température de l’eau, et encore, d’un seul pied. Il y a longtemps que Sanxenxo a délaissé les bottes de pêche pour les sebago, comme en témoigne le port de plaisance, splendide extension de la ville où bouchonnent les plus beaux voiliers de la région. Elle porte le nom de Juan Carlos. Le souverain espagnol, plaisancier émérite, a adoubé cette marina qui accueille à l’occasion les skippers de la Volvo Ocean Race ou encore ceux de la course du Figaro.

Mais le plus touchant de cette perle de l’Atlantique est sans doute son art de vivre, inchangé depuis des lustres. Les visiteurs adorent. Ils optent pour la rangée de bistrots qui bordent le bout de la baie, juste avant la cité nautique, devant la sirène, une sculpture signée par l’enfant du pays Alfonso Vilar Lamelas, posée sur un rocher, à deux brasses du rivage. On lui donne du « Madama », comme s’appelle le café d’Alberto et de Pepe. Leurs tapas, poisson, cochonnailles, fromages, sont divins. Un verre de vin ? Bien entendu, avant de filer chez le voisin ! Sans oublier de pousser la porte de la chapelle Santa-Gines, toute proche. Une vierge à l’enfant, une coquille gravée sur la façade, une pause au silence de pierres ajustées au XVème siècle. Même le temps prend celui de s’arrêter.

 

La DS noire de Charles de Gaulle

A peine douze kilomètres à l’intérieur des terres veille Combados. Toute proche et pourtant totalement étrangère aux choses de la mer. Se dévoile ici un monde minéral, pierre et terre, ruelles pavées et tour de guet, château fort et place d’armes. La ville (15 000 habitants) ouvre les portes d’un vignoble épatant dont le cépage roi est l’albarino, un blanc pierreux qui pourrait rappeler notre sancerre. Les vallons de la région sont si riches en granite que, taillé en piquet, il assure le maintien des ceps ! On fait alors le lien avec le monde celte dont se revendiquent la région, fraternisant avec les frères qui peuplent l’arc-de-cercle atlantique, d’Irlande en Galice, en passant par la Bretagne. Ce caractère séduisit le général de Gaulle qui vint ici en 1970 après avoir quitté le palais de l’Elysée. Sa DS noire fit halte dans le petit village de Padrinan où, verre à la main, il fut intronisé dans l’Ordre de l’albarino…

Enfin, impossible de ne pas pousser jusqu’au centre de Pontevedra. Une merveille de préservation et d’aménagement. Il faut dire que la ville a du bagage. Elle fut port prospère jusqu’au XVIème siècle au point que ses chantiers navals construisirent la Santa Maria de Christophe Colomb, c’est dire ! Désormais dessinée pour le plaisir des visiteurs, elle leur offre ses ruelles piétonnes et une incroyable liste d’églises, de palais, de couvents et de placettes que le soir anime de la plus festive des ambiances. Musique et danse à même le pavé centenaire, tapas, vin et douce météo, plaisir de trinquer avec ses voisins, de refaire le monde et d’en rire encore. Des fois, on aimerait que la nuit de Galice, jamais n’en finisse.

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Image de couverture: Getty Images/iStockphoto