Indonésie

Croire en Indonésie

Croire en Indonésie

On ne revient pas indemne d'un voyage en Indonésie. Quelle que soit l'île visitée, on rentre avec le sentiment d'avoir les yeux plus grands ouvert. L'archipel est immense, s'y déploient 17 000 îles, comme autant d'étincelles. Plus de huit cents sont habitées, mais il existe entre elle un trait d'union. La mer est leur frontière, elle aura préservé des rites et des pratiques souvent uniques, mais aussi propagé de grands courants d'influences religieuses, le Bouddhisme et l'Hindouisme aux troisième et quatrième siècles, l'Islam plus tardivement, le Christianisme plus tard encore. 

 

Ces grandes religions se sont mêlées aux coutumes locales. Dans chaque île, on s'habille, on chante, on danse, on prie et même on parle différemment. Les mères transmettent le dialecte à leurs bébés, ce n'est que vers six ans que les maîtres d'école leur enseigneront la langue fédératrice du pays, le Bahasa... Car cet éclatement territorial forme un pays, indépendant depuis 1945, une nation dont l'identité repose sur cinq principes fondateurs, les "pancasila". Parmi ceux-ci figure en premier lieu la croyance en un dieu unique. Si la liberté de choix confessionnel est garantie par la constitution, il ne du monde en terme de population. Et si, en 2010, 87,2 % des personnes demandant une carte d'identité se déclaraient musulmanes, l'intégrisme islamique et les courants salafistes restent très minoritaires.

 

De passage à Jakarta, un représentant français de la communauté soufi avait été stupéfait d'assister à la répétition de majorettes qui se préparaient à célébrer la fin du ramadan. L'Islam traditionnel indonésien permet aux femmes d'intervenir à tous les niveaux dans la société. D'ailleurs une femme, Megawati Sukarnoputri élue vice-présidente en 1999, a dirigé la très jeune démocratie de 2001 à 2004. Partout, depuis toujours, à travers le pays, hommes et femmes travaillent et évoluent ensemble. Les pères, les grands-pères "maternent" autant leurs tout petits que les femmes. L'obligation d'opter pour l'une des grandes religions (monothéistes), Islam, Catholicisme, Protestantisme, Bouddhisme, et Hindouisme, auxquelles, après la chute du dictateur Suharto, a été ajoutée le confucianisme, avait, entre autre, pour objet de faire disparaître l'animisme et les superstitions. Cela n'a pas été le cas, quelles que soient les religions adoptées, la foi est caractérisée par le syncrétisme, l'incorporation des grands courants religieux aux  traditions. On fait toujours appel à des "orang pintar", des guérisseurs, des médiums et le culte des ancêtres se superpose bien souvent aux religions répertoriées.La vie, même rude, est reliée au cosmos. Les Hindouistes balinais considèrent que l'homme a pour mission sur l'île de générer un équilibre entre les forces positives et négatives qui y résident et n'en disparaîtront jamais. Les Javanais musulmans  adeptes du Kejawen, que l'on traduit par "javanisme" ont le même désir de maintenir l'harmonie, le concept de "mamayu ayuning buwono"  leur impose de "rendre le monde beau". Partout, ce qui est frappant, c'est l'alliance du groupe pour célébrer et conjurer ensemble. Quelles que soient les îles, la religion pratiquée, on célèbre collectivement les grands évènements religieux.

 

Et bien souvent, on conjure le sort par des offrandes collectives, des repas propitiatoires, des processions... L'évolution individuelle est elle aussi marquée par des rites de passage auxquels participe la communauté au sens large. La mort est le dernier d'entre eux. Le faste des rites funéraires collectivise le deuil et tient le chagrin à distance. Les cérémonies de crémation balinaises mobilisent le groupe durant des semaines entières. Les hautes tours où sont transportés les corps, avant d'être insérés dans des sarcophages en forme de bœufs, sont de véritables œuvres d'art, dont l'embrasement par les flammes ne prend que quelques secondes. Le peuple Toraja, en dépit de sa large conversion au christianisme, enfouit encore ses morts dans des caveaux percés en hauteur dans les falaises, afin qu'ils ne rendent pas impure la terre fertile. Cette pratique est précédée par le sacrifice des buffles qui serviront de véhicule au défunt dans l'au-delà, et il n'est pas rare que le corps soit placé dans un cercueil sur lequel est sculptée une représentation de la Cène avant d'être hissé dans la falaise.  Dans les deux cas, le rituel vise également à conduire l'ancêtre auprès des dieux, à lui donner sa place dans le panthéon familial. Les chrétiens de Florès apprivoisent la mort d'une autre manière. Les tombes carrelées comme des salles de bains sont disposés juste devant l'entrée de la maison. Les enfants jouent, s'assoient dessus. En voyageant à travers l'archipel, on constate à quel point le deuil est collectif et le chagrin, la perte, portés par la communauté entière. Le groupe entier se répartit les charges, parmi lesquelles celle de satisfaire le divin... Certaines régions sont pauvres, on peut parler de dénuement mais on n'a pas le sentiment de côtoyer la misère. Derrière le sourire, au-delà de l'optimisme et du courage, dans les cœurs se cache la ferveur, une autre forme de richesse. Partout, on croit à l'ensorcellement du monde et on a foi dans la nécessité de le conjurer ensemble. Peut-être est-ce là, dans cette union sacrée, que résident l'enchantement et ce supplément d'âme qui rendent le pays si attachant.

 

 

L'ANIMISME en Indonésie

 

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? Aujourd'hui encore, toutes religions confondues et sans interroger les habitants des tribus reculées, à la question de Baudelaire, beaucoup d'Indonésiens risquent de répondre oui... Même dans les plus grandes villes, on n'inaugure pas un bâtiment, que ce soit un temple, une maison ou un gratte-ciel sans une cérémonie accompagnée d'offrandes. D'un bout à l'autre de l'archipel, on prête des vertus sacrées aux grands banyans, aux sources, au riz... Le volcan Merapi à Java est l'objet d'un culte particulier de la part des souverains musulmans de Yogyakarta, qui, chaque année lui font des offrandes. Les Balinais vénèrent le mont Agung, berceau des dieux, et, tout comme les Sasaks de Lombok, le Rinjani. Javanais et Balinais attribuent des pouvoirs à leurs masques de danse, à leurs kris, aux marionnettes du théâtre d'ombre... Et à Bali, le jour où l'on célèbre Saraswati, déesse de la connaissance, on fait des offrandes aux livres, et même... aux ordinateurs.

« Ces grandes religions se sont mêlées aux coutumes locales. Dans chaque île, on s'habille, on chante, on danse, on prie et même on parle différemment. »

 

 

Photographies

TUUL & BRUNO MORANDI