L’une et l’autre inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. L’une et l’autre dalmates. L’une et l’autre débordant de monuments et d’autant de raisons d’y aller. Voici quelques éléments de comparaison pour vous aider à choisir – sachant qu’une fois passés en revue leurs avantages sur quelques points, vous statuerez sans doute sur une égalité des intérêts et des charmes... Il n’est pas tant question de plus et de moins que d’autrement, de différences qui se complètent et s’appellent. La côte dalmate est une vieille terre de mélanges et celle d’une émulation dont nos deux cités sont issues.
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Vieux murs
Pour Split, ce sont ceux du palais que l’empereur romain Dioclétien se fit construire au début du IVe siècle afin d’y finir ses jours en paix. Par la suite, la petite cité de Salone s’est transportée dedans, s’appuyant sur les murs, utilisant les matériaux, convertissant certains bâtiments. Ainsi la cathédrale Saint Domnius fut aménagée dans le mausolée de l’empereur. Le squat perdure et on continue de construire. Des hôtels gothiques apparaissent en leur temps. Cependant, le périmètre palatial ne suffit plus et l’agglomération en déborde les murs. Ainsi Split naît-elle vraiment. C’est à tout cela qu’on doit une vieille ville nettement délimitée et dotée de vestiges romains : péristyle, temple de Jupiter, thermes, venelles et encore trois des quatre tours d’angle des remparts. L’intrication est romanesque comme tout. C’est de la mer qu’on a le recul suffisant pour apprécier pleinement l’ampleur de la maison de retraite berceau de la ville.
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Toute autre est l’histoire des remparts de Dubrovnik / Raguse. Ils n’ont pas donné naissance à la ville ; ils lui ont plutôt couru après. Chaque développement jusqu’au XIIIe siècle étant successivement enveloppé par un nouveau mur protecteur. Le périmètre de l’actuelle vieille ville étant stabilisé, le dispositif de défense est ensuite modernisé jusqu’au XVIIe siècle et au-delà. En fait, il faut considérer que ces ouvrages de près de deux kilomètres de circonférence (et leurs compléments détachés) contribuaient, au même titre qu’une diplomatie flexible, à l’indépendance de la République de Raguse. Ils ont résisté à tous les assauts, des Aghlabides au IXe siècle à l’armée Yougoslave en 1991-1992. Les destructions causées par cette dernière agression ont été, comme les autres, compensées. Ce fabuleux ensemble d’ingénierie, d’art et d’histoire vaut par lui-même, mais encore aussi par ce qu’il a permis de préserver à travers les siècles. Le vieux Dubrovnik est une merveille.
Ce qui différencie Split et Dubrovnik en termes de vieux murs n’incite pas préférer l’une à l’autre. On serait tenté plutôt d’aller visiter l’une et l’autre. En commençant pas la première peut-être, puisqu’elle est la plus ancienne. La seconde prenant le relais des mélancolies et des inquiétudes face à la mer.
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Cinéma
Il n’est pas nécessaire de quitter les remparts de Dubrovnik pour envisager ce nouveau thème. S’il y a une chose que tout le monde sait de la ville, c’est qu’elle a servi de décor à Game of Thrones. Le set-jetting s’en est emparé, et comment ! Continuons donc notre balade sur les chemins de ronde. Ils sont un peu partout dans les épisodes de la série. Leur potentiel d’évocation en fait un personnage à part entière. Fort Bokar et la forteresse de Lovrijenac, tous deux à l’ouest de la vieille ville, ont servi de cadre à Donjon Rouge et King’s Landing. La tour Minceta, qui domine Dubrovnik au nord, fut le palais des Poussières des Nonmourants. La Khaleesi Daenerys Targaryen a logé dans la villa gothico-Renaissance de Petar Sorkocevic, à Lapad. Et lorsque les jésuites firent construire l’église Saint Ignace, au XVIIIe siècle, ils n’imaginaient sûrement pas que les escaliers qui y mènent seraient un jour le théâtre de la walk of shame. Laquelle éclipse une fort belle réalisation baroque !
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Face à ce rouleau compresseur, Split a-t-elle quelque chose à opposer ? Eh bien, il lui est arrivé d’être Meereen, sur la baie des Serfs. La saga fantasy est aussi passée par là (et jusque dans les soubassements du palais). Ensuite, il faut convenir que la ville s’est peu montrée sur les écrans. Comme chacun d’entre nous en somme, elle est plus cinéphile que cinéaste. Le festival du film de Split est un vrai rendez-vous annuel, qui va vers ses trente ans sans rien perdre de sa curiosité pour l’image animée. Qu’il s’agisse de cinéma traditionnel, de télévision, de vidéo ou de nouveaux médias, tout est bon à prendre pour peu que tout ait quelque chose à dire et, surtout, quelque chose à montrer. Des rétrospectives ont été consacrées à Bela Tarr, au cinema novo brésilien ou à Nam June Paik. Pour mesurer l’angle d’ouverture. L’affaire a lieu en automne, septembre ou octobre, et toutes les salles de la vieille cité sont de la partie. A cette saison, cinéphilie et Adriatique vont bien ensemble.
Dubrovnik attend James Bond, Split cherche ce que l’autre cinéma de par le monde propose. Ce qui est bien, c’est qu’on puisse profiter des deux. Les deux villes se prêtent au mouvement de la caméra. Chacune a sa façon, mais avec un engagement identique. Pourquoi choisir ? Balançons !
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Côté plages
A Split, pour se baigner dans la mer, on va assez logiquement vers le sud. D’ailleurs, c’est presque immédiatement derrière le port des ferries que l’on trouve l’une des plus belles plages de Croatie : Bacvice. Presque en ville et de sable fin. Cette dernière caractéristique est unique dans le secteur, suscitant une fréquentation assidue dès que le temps le permet. Et il le permet souvent ! Des cabines, des bars et des restaurants la rendent populaire. Bref, c’est la plage des habitants, de la jeunesse notamment. Elle appartient à la vie urbaine. On y parade. On s’y montre habile au picigin, jeu de balle à grand renfort de splatch. Besoin de calme plutôt ? Cinq minutes encore de promenade vers l’est vous conduisent à Ovcice. Un niveau d’équipement nominal la font moins envahir. Et puis, plage et fond sont de gravier. Ce qui n’est nullement rédhibitoire - des transats loués à prix modique pallient l’inconvénient des petits cailloux - et garantit une eau limpide. Bref, thèse et antithèse se succèdent presque sans transition. Et ça alterne encore de Firule à la paisible Trstenik. Znjan a des attentions pour les enfants. A l’ouest du port de plaisance, différents spots, dont on extrait ce qui est peut-être la plage référence. Par ses entours de falaises et de pins, ses galets de module réduit, ses transats et son eau transparente, Ksjuni sort du lot. Tout le monde le sait !
Ana Kutija
De la plage de Banje, à quelques minutes à pied du vieux centre de Dubrovnik, on a une vue splendide sur la forteresse Saint Jean, qui garde l’entrée du port, et sur l’île Lokrum. Une telle situation, et l’interpolation des bleus de la mer et du ciel, la qualifient pour concourir au titre de plus belle plage dalmate. Un restaurant et une étendue modeste de galets mi-transats, mi-serviettes. Elle n’est pas toujours bondée, mais c’est un point chaud. Buza beach est-elle vraiment une plage ? Elle l’est un peu comme un mur végétalisé est un pré. On sort de la vieille ville par une porte dérobée et l’on descend d’abord quelques marches jusqu’à un bar installé à même le rocher de soubassement. L’atmosphère est verticale. Ensuite, des escaliers permettent de gagner le niveau de l’eau et de se baigner au pied-même des remparts. C’est assez magique de les avoir ainsi à l’aplomb de soi pendant qu’on nage. Sous la forteresse de Lovrijenac se cache la jolie plage de Sulic. Un rectangle de galets et des rochers dont l’eau fait jouer les teintes. Peu de place, mais une impression garantie d’être privilégié. Bellevue, Sveti Jakov, Dance présentent toutes un profil assez similaire, rocheuses, resserrées, la géologie veut ça. Celle-ci donnant parfois une représentation spéciale, comme la grotte-plage de Betina, énorme orbite calcaire qui abrite sa portion de galets, entre Banje et Divovici.
A-t-on décidé de ne jamais départager Split et Dubrovnik ? Est-ce de propos délibéré que nous maintenons la balance égale ? Non, sans doute, mais les lieux eux-mêmes commandent. Allons, disons qu’à Dubrovnik la présence des remparts parfois directement au-dessus rend certaines plages très exceptionnelles. Néanmoins, à Split, on a plus de place.
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A table
Après un bon bain ou une visite méticuleuse de la vieille ville, on a faim. A Dubrovnik, ce ne sont pas les tables, ni les comptoirs, qui manquent. On trouve tout ce qui alimente la grande affluence. Enseignes internationales et pizzerias en pagaille (et celles-ci ne sont pas toutes indignes). Petit conseil : un restaurant qui utilise des rabatteurs ne se recommande pas de sa cuisine. Ne nous y laissons pas prendre. Pour ce qui est propre à la ville, sa situation détermine ce qui en fait les assiettes. L’Adriatique fournit du poisson, du poulpe, des coquillages ; la terre, des légumes, des fruits, de l’agneau, du cochon, du bœuf. Les Croates fument volontiers les viandes, ce qui s’allie de façon rustique et succulente avec le chou. L’héritage vénitien a imposé le risotto. A l’encre de seiche et aux supions, il est succulent. Les bettes font avec les pommes de terre un accompagnement fréquent. La rozata de Dubrovnik est une crème renversée dont la qualité ne tient pas uniquement au caramel. Plus surprenante peut-être sera la kotonjata, le gâteau au coing. Et tout cela s’arrose avec ce que produit une belle viticulture nationale.
Christian Kerber/LAIF-REA
En passant à Split, on ne change pas de registre. Le contexte géographique étant essentiellement le même. On reste en Dalmatie, au bord de la mer. Et l’afflux de visiteurs provoque chez les restaurateurs des comportements similaires. Ce qui est valable là, l’est ici. Concernant le tout-venant comme le fin du fin. Les sardines se grillent et se citronnent de façon identique. La soupe de crabe se pratique partout où il y a des crabes. La dalmatinska pasticada, fameuse daube de bœuf servie avec des gnocchis, serait néanmoins originaire de Split. Le plat s’est taillé un joli succès dans tout le pays. Luganige est une saucisse porc-agneau-épices que la ville dioclétienne a adopté d’enthousiasme, serait-elle de Sinj. Le chou farci est une recette ancienne, à l’aire de répartition très large. Une spécialité dalmate déroute les œnophiles : la bikla. C’est un mélange désaltérant de lait de chèvre frais et… de vin, dont la couleur rappelle le yaourt à la myrtille. Le pays réserve quand même quelques étonnements.
Peut-être Split retient-elle un peu plus d’atmosphère culinaire austro-hongroise. Ce serait faire peu de cas des cafés que Dubrovnik a hérités de la double monarchie. Du point de vue gastronomique, les deux villes offrent des variations sur les thèmes classiques de la cuisine adriatique.
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Arrière-pays
De Split, on rejoint aisément Zadar, ponctuée de jardins publics. Ce qui donne à toute la ville l’occasion de mettre le frein et de buller. Parmi les monuments rescapés de la Seconde Guerre mondiale, on compte des fortifications vénitiennes ; la merveilleuse église byzantine Saint Donat, du IXe siècle, au plan circulaire typique de la période préromane en Dalmatie ; la cathédrale Sainte Anastasie, dont le musée d’art sacré abrite le Polyptyque de Zara, de Carpaccio. Dans l’église Saint Siméon, fondée au Ve siècle, la chasse en cèdre et argent du saint dédicataire - homme juste ayant reconnu la messianité de Jésus lors de sa présentation au Temple - est un chef d’œuvre d’orfèvrerie médiévale, inscrit au patrimoine mondial. L’étonnant orgue marin installé sur la promenade littorale donne à entendre les mouvements de l’eau. Quant aux boutiques, elles font de Zadar le hub mode de la côte. En route, on doit s’arrêter dans le parc national de la Krka, pour un bain d’eau douce au pied des chutes à rebonds du petit fleuve éponyme : le karst donne là un spectacle tonique. Ravissant aussi, le couvent franciscain de Visovac, sur un îlot planté de peupliers.
Ana Kutija
Placé comme elle l’est, l’arrière-pays croate de Dubrovnik n’est pas épais. L’une des plus faibles profondeurs nationales. Qu’importe cependant, puisque les conditions administratives le permettant, on va en Bosnie et au Monténégro. Dans le premier cas, Mostar impose son statut de trésor d’architecture ottomane et de cité martyre. Le Vieux Pont sur la Neretva - Stari most, XVIe siècle - est un emblème non seulement bosnien mais international, inscrit au patrimoine mondial. C’est aussi un exemple d’intégration de l’architecture au paysage. Le passer aujourd’hui pour découvrir la beauté pittoresque du vieux bazar, des mosquées, des auberges et des magasins qui constituèrent ce gros bourg frontalier de la Sublime Porte, est à la fois un enchantement et une émotion. Beaux immeubles Sécession dans la partie austro-hongroise de la ville. Côté Monténégro, comment ignorer la rade de Kotor, système de vastes plans d’eau et de passes resserrées qui aurait pour origine une ria. Un paysage ample et harmonieux qui, à l’instar des fjords scandinaves, équilibre puissants reliefs et nappe liquide. Lorsque cette dernière réfléchit l’image des montagnes, l’effet stupéfie.
Il y a donc de quoi faire, si la durée du voyage à Split ou Dubrovnik le permet. On sera bien avisé de s’organiser pour que ce soit le cas, la beauté et l’agrément des deux cités incitant à aller plus loin. La frustration est mère des voyages certes, mais l’occasion doit déterminer leur périmètre spatio-temporel.
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Des îles
C’est Pline l’Ancien qui, le premier, a fait mention des Elaphites, un brin au nord-ouest de Dubrovnik. Cet archipel comprend une douzaine d’îles et îlots. La population permanente (à peine un millier d’âmes) se répartit sur Sipan, Lopud et Kolocep. Leur beau couvert végétal évoque l’espace méditerranéen antique, quand l’architecture et la construction navale n’avaient pas encore passé la tondeuse. Des ferries emportent sur ces terres odorantes et festonnées pour des journées qu’adoucit la brise de mer. Avec ses plages de sable, Lopud attire les plus nombreux visiteurs. Elle bénéficie en conséquence d’une infrastructure plutôt développée. On choisit donc entre l’équipement de l’une et la farouche rusticité des autres. Les caractéristiques des Elaphites s’accentuent à Mljet, au large de celles-ci. La végétation notamment : l’île passe pour la plus chevelue de l’Adriatique. Sa partie septentrionale, à la beauté mêlée de terre et d’eau, est protégée par un parc national. Karst et lacs salés composent un milieu complexe et riche des formes que multiplie l’érosion. Un peu plus loin, il y aurait encore Korcula. Et Lokrum ? C’est à peine si elle est détachée de Dubrovnik : 600 mètres. Bien sûr, ce n’en est pas moins une île. Qui héberge un beau jardin botanique, un vieux monastère bénédictin et le fort Royal.
Ana Kutija
Au sud de Split, il y a surtout Brac. On peut s’installer à Bol, par exemple, et commencer au plus près l’exploration de l’île : l’église des Dominicains possède une belle Apothéose de saint Dominique du peintre croate Tripo Kokolja, 1713. A Skrip, les Romains ont extrait du calcaire - pour édifier le palais de Dioclétien à Spalatum / Split, notamment. Le musée du palais Radojkovic présente de belles pièces antiques, mais documente aussi la vie rurale traditionnelle. La route vers Nerezisca est des plus pittoresques. A flanc de rocher, l’ermitage-musée de Blaca époustoufle. Fondé par des ermites franciscains au XVIe siècle, il devint un centre important de culture glagolitique (au IXe siècle, l’alphabet glagolitique a été mis au point par les saints Cyrille et Méthode pour écrire le vieux slave) ; les bâtiments datent des XVIIIe et XIXe siècles. Quant au village de Milna, il possède de bourgeoises maisons d’armateur, dont un port naturel sûr donne la raison. Partout, le bleu roi de la mer se montre à pleine nappe ou flashe dans une échancrure du paysage. De petites plages recueillent les voyageurs pour une baignade. Les odeurs entêtantes des plantes méditerranéennes accompagnent les balades. Voudrait-on un point de chute un peu plus intime ? Il y a l’île de Solta, juste à l’ouest.
Avec des qualités différentes et chacune ses atouts, ni Split, ni Dubrovnik ne l’emporte sur l’autre. Les îles dont elles s’entourent ne les départagent pas non plus. Et c’est tant mieux ! Dans le cas contraire, l’attrait s’en trouvait diminué d’autant. Il n’en est rien : les agréments se multiplient et imposent tout au voyageur.
Par
EMMANUEL BOUTAN
Photographies de couverture : Ana Kutija & anjun / Adobe Stock