Pays de lumière, lumière d’or qui dès 4 heures adoucit tout, polit la roche des montagnes et des bords de mer, resculpte les pierres des monastères, des ruines romaines, veloute les peaux des libanais mieux que le meilleur make-up artist. Et éclaire la ville la nuit durant.
Paris, dans un cinéma de Marin Karmitz, au début des années 1990. Sur le morceau des Négresses Vertes, les images de Depardon d’un Beyrouth dévasté défilaient. Sans à-coup, lancinantes, bouleversantes. Je ne sais plus quel film il y avait après, je me souviens juste y être retournée, plusieurs fois, pour ces cinq minutes d’avant le film, pour me gorger de ce silence en musique.
Paradoxalement, c’est ça, ce choc de la ville vide juste après guerre, qui m’a donné envie d’y aller. Voir mieux cette lumière qui éclatait dans les ruines, et qui arrivait à rendre beaux les impacts de balles. Voir où vivaient les hommes et les femmes.
J’ai mis presque 20 ans pour y aller, Beyrouth reconstruite brûle de vie. Dans tous les sens, dans tous ses excès – bling bling, dorures, juxtaposition chaotique d’architectures improbables, mais quelle vigueur ! Face à la silhouette iconique de l’hôtel Saint-Georges, on peut prendre un pot sur les transats du grand ponton flottant, piquer une tête dans la piscine bleu intense, vivre à plein aujourd’hui en oubliant ou intégrant l’histoire.
Car il y a de quoi faire : Dans la Bible, le Liban est « la terre du lait et du miel ». Rien que ça.
Byblos (Patrimoine mondial de l’humanité UNESCO), fondée il y a 7000 ans et continuellement habitée depuis – l’une des plus vieilles cités au monde, fut dès le IVe millénaire av. J.‑C. un centre commercial actif, trafiquant avec l’Égypte, la Mésopotamie, et les Minoens de Crète. Aujourd’hui les sites historiques y jouent joliment à touche-touche, antique port de pêche, site romain, souk ombragé, château croisé. Dos à tout ça, face à la mer et au coucher de soleil polychrome, les amoureux s’y comptent fleurette.
Gunnar Knechtel/laif-REA
Perchée dans les montagnes depuis pas moins de 5000 ans, Baalbeck (un autre site du patrimoine mondial de l’UNESCO) dresse les ruines d'une ville qui semble avoir été conçue pour des géants. Ecrasante beauté de ce site aux constructions démesurées, sis dans le lieu le plus chaud du Liban. Peut-être est-ce pour cela que les Phéniciens dédièrent leur ville à Baal, le dieu qui apporte la foudre et les pluies bienfaisantes, peut-être est-ce pour les mêmes raisons que les grecs la nommèrent Heliopolis, "ville du soleil". Toujours est-il que nos météorologues y ont relevé des températures allant jusqu'à 47 degrés à l'ombre, et j'ai bien l’impression que c'était pile poil le jour où j'y étais. La chaleur rendait plus folles encore les dimensions titanesques du temple de Bacchus ou de celui de Jupiter, et le soleil, sans concession, dessinait sur le sol les ombres des immenses colonnes, me rappelant ma petitesse.
Continuons notre parcours historique au cœur de l’un des plus beaux sites du Liban, la vallée de la Qadisha (elle aussi inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité UNESCO). La vallée –composée de deux vallées en vérité, Qozhaya et Qannoubine – abrite les majestueux cèdres du Liban dans «la forêt des cèdres de Dieu » et accueille certains des plus anciens monastères chrétiens du Moyen-Orient. Dans l’un des sites monastiques chrétiens les plus importants au monde. Dès le 10ème siècle, les communautés maronites s’installèrent ici, d’abord dans les grottes, puis en construisant des monastères. Celui de Qoqaya, immense bâtisse aux pierres or clair dédié à Saint-Antoine, qui lors de son apogée au 19eme siècle, accueillait plus de 300 moines, peut aujourd’hui loger quelques voyageurs le temps d’une ou deux nuits, tentation à laquelle je vous recommande chaudement de céder. Dans l’autre vallée, le Monastère Notre-Dame de Qannoubine, dont l’église, d’une beauté percutante, simple et pure, est creusée en partie dans le roc vif. Rehaussée de fresques murales, elle affiche sa poésie avec évidence – la scène la plus connue, un couronnement de la Vierge, est chapotée de la citation du Cantique des Cantiques « Viens du Liban, ma fiancée, et tu seras couronnée », histoire de rappeler qu’ici rien n’est usurpé.
Finir en rejoignant la mer, dans la région du Chouf, dans un joyeux méli-mélo de villages pittoresques, de montagnes vert profond, de palais ottomans, de plages de sable fin, pour faire bien le plein des facettes de lumière des mondes libanais.