Dans un immense parc de la capitale chinoise, se trouve un jardin discret entièrement consacré aux mariages. Les parents de jeunes célibataires s’y croisent pour conclure de futures unions.
Il s’appelle le Temple du Ciel. Comme il est entouré d’un immense parc (267 ha) dessiné en pleine ville, joliment aménagé, en outre planté d’essences séculaires, le site agrémente la promenade de très nombreux pékinois auxquels s’ajoutent les visiteurs venus de toutes les provinces de l’empire. Les connaisseurs ne manquent pour rien au monde l’un des recoins du parc. Car ici se trouve ce qu’on pourrait appeler un « jardin aux mariages ». Attention, il ne s’agit pas d’un lieu de rencontres et plus si affinités. Mais d’une vraie louange des promises par des parents inquiets de leur célibat. Sans que les principales intéressées soient présentes. Reprenons.
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Officiellement, on vient dans ce réduit vert du sud de Beijing dans le quartier de Xuanwu pour une pause en couple ou en famille et la découverte d’un temple tout rond construit en 1420 comme un hymne aux quatre saisons. L’édifice a été classé par l’UNESCO en 1998 sur la liste du Patrimoine mondial. Les empereurs, intermédiaires désignés entre les puissances du ciel et les petites affaires du bas monde, s’y rendaient pour demander des récoltes abondantes, sacrifiant au passage quelques têtes de bétail histoire d’accréditer la sincérité de leur démarche. Tout autour de ce bâtiment dont le cercle symbolise la cosmogonie chinoise, plusieurs autres édifices, des allées tapissées de gravier, d’autres à l’abri d’arcades historiques, toutes occupées par le petit peuple des humbles qui s’asseyent dans un réjouissant désordre, tant il brille de simplicité et de sincérité. Les uns pique-niquent, soupe versée du thermos avec bol de riz. D’autres jouent aux cartes, lancent les dés ou plaquent les dominos, jamais avares d’un hurlement d’encouragement ou de victoire. Parties payantes soupçonnées.
Défilé de dames seules
Dans cet îlot de campagne en pleine ville se déroule une cérémonie différente, bien plus étonnante. Depuis l’entrée du parc du temple du Ciel, suivre l’allée principale qui mène à son bâtiment emblématique. Très vite, tourner à gauche en direction des faux rochers blancs semés sur l’herbe. Tôt le matin, on y croise les adeptes du taï-chi ou de gymnastique, une activité matinale pour tous, depuis longtemps inscrite au rang des devoirs du citoyen par le Parti Communiste chinois. Participer est gratuit, il suffit de prendre place parmi les adeptes et, faute de comprendre les instructions du coach (bénévole, il sert la santé et la cause des camarades), suivre les mouvements de ses voisins. Intégration immédiate dans l’indifférence générale.
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Ensuite, à partir de 10 heures, un curieux défilé de dames seules, toutes autour de la cinquantaine, prennent possession de l’endroit, à même les pelouses ou sur les quelques bancs qui garnissent l’endroit. Toutes sortent alors de leur cabat une feuille A4 protégée par une couverture plastique, on ne sait jamais, la pluie est imprévisible. Leurs vêtements racontent des conditions simples, des statuts bien ordinaires à mille lieux du stéréotype des financiers chinois 2.0 qui jouent avec leur iPhone et jonglent avec les piles de dollars. Elles, ce sont des mamans anonymes dont le souci est de marier leur fille. A même le sol où sur les branches basses des arbres, elles déposent la feuille de papier blanc sur laquelle est inscrit un nom, un âge, la taille, le niveau d’études, une liste de passions, de centres d’intérêt. Aucune photo, pas d’autre détail. Juste une invitation à la curiosité, en savoir un peu plus, à poursuivre la conversation.
Se marier avant 25 ans
Meetic version chinoise ? Pas vraiment car cette situation s’inscrit ici dans la longue tradition chinoise, très éloignée du seul plaisir de la rencontre, conclusion ce soir et page tournée dès demain matin. Le temps qui passe est une donnée de la vie totalement intégrée au point que le clan familial se plie indéfectiblement à ses exigences. Pas question de laisser les anciens sur le bord de la route ou de les expédier dans des résidences spécialisées. La maison est leur abri pour la vie. Encore faut-il que les jeunes générations soient présentes pour s’occuper d’eux et subvenir à leurs besoins. D’où la nécessité du mariage et des petits-enfants à venir. La sociologie chinoise fixe à 25 ans l’âge maximum auquel il convient d’avoir la bague au doigt. Le célibat au-delà fait souci. Pas assez jolie, pas suffisamment instruite, pas trop d’agrément ? Alors, les mamans s’en mêlent. Autant pour leur progéniture, vite, la maternité !, que pour elles-mêmes, dans la perspective des années de vieillesse qui pointent. D’autres parents arpentent les allées de cet étrange jardin des mariages. Ils scrutent, lisent, discutent, leur fils va sur ses 30 ans, toujours célibataire, il est temps… Certaines solitudes ne sont pas tolérables en Chine. Affaire sérieuse, engagement irrémédiable exigé.
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Texte
JEAN-PIERRE CHANIAL