Elle s’appelle State Route 1, prononcer SR1 [èssèr ouane]. Un mythe américain au look de départementale. A suivre sur 882 km entre les deux reines de la Californie, coude sur la portière d’un cabriolet de location. Au programme : Los Angeles, Santa Monica, Santa Barbara, Big Sur, Carmel et San Francisco. Contact.
Voyageurs pressés, restez sur l’autoroute, la Highway 5 qui file à l’intérieur des terres et relie à toute vitesse Los Angeles à San Francisco en moins de 10 heures. Aucun intérêt. En revanche, bonheur assuré pour qui va prendre son temps et suivre paisiblement la route côtière calquée sur les magnifiques baies et les immenses plages de la côte pacifique.
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Qui n’a jamais mis les pieds à Los Angeles reçoit son premier choc, façon uppercut sur un ring aussi vaste que l’océan. La mégapole étalée sur plus de 100 kilomètres en bordure de Pacifique aligne des centaines de quartiers séparés par des autoroutes deux fois six voies (voiture de location obligatoire et embouteillages dantesques garantis). De nuit, elle glisse en tapis de néons dont on ne distingue jamais la limite. Partant du principe qu’il est impossible de tout voir en un seul séjour, il faut donc pointer deux ou trois cibles, histoire d’assurer le plaisir de quelques nuits sur place. Alors, direction Downtown LA, le centre-ville qui revit comme jamais le long de Broadway (hôtels, salles de spectacle, galeries, etc.) et autour de l’indémodable Grand Central Market. Cette immense halle dressée en 1917 ravit à l’heure des courses ainsi que du lunch sur le pouce. Huîtres et burgers, jambon italien ou légumes bios du jardin, sushis autant que soupes chinoises, toutes les cuisines du monde ont pignon sur allée.
Ensuite, il sera bien temps de pousser les portes du Broad, le nouveau musée d’art moderne, à moins de préférer la parole de la rue, celle des fresques géantes (souvent magnifiques) peintes sur les façades livrées aux grands noms du Street Art. Les visites (LA Art Tours), passionnantes, sont guidées par les artistes eux-mêmes. Demain, on choisira entre la virée sur Hollywood Boulevard pour lustrer les étoiles gravées sur le trottoir, parcourir les collines fleuries de Bel Air derrière lesquelles se planquent les stars bankables en millions de dollars, ou préférer soleil et plage sur Venice Beach. Du sable à l’infini sur 500 mètres de largeur (eau frisquette). Pour le spectacle, c’est simple, il suffit de s’asseoir sur un banc et de regarder passer la foule des promeneurs. Ils suivent en grappes l’allée dallée bordée de boutiques (t-shirts, souvenirs et ordonnances pour marijuana) et de stands plus babas que bobos (peintures, musique, bijoux, etc.). Ce joyeux festival s’enrichit de tops models en shooting, de tatoués en exhibition, de musiciens en quête de signature… Sans oublier le fabuleux skate parc, une icône mondiale auprès des as de la planche à roulette qui se retrouvent ici pour rivaliser de cabrioles et d’audaces. Un régal.
La grand roue de Santa Monica
Tourner la tête côté nord et dans les brumes de chaleur et d’océan apparaît la grand roue de Santa Monica. Voici la star de la jetée de cette station balnéaire située à une vingtaine de kilomètres de Los Angeles. Elle figure du reste au casting de nombreux films, Forest Gump, Iron Man, Rocky III, etc. Ne pas résister à l’appel des nacelles avant d’attaquer huîtres et crabes sur les terrasses des guinguettes qui bordent cette superbe avancée sur Pacifique. Le tableau des vacances bonheur version américaine se poursuit sur la plage.
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Immense, en largeur comme en longueur, jamais surpeuplée, elle attire en permanence les adeptes de la forme et du muscle avec les très nombreuses installations qui bordent la promenade dessinée le long de l’océan. Un tonus complété par les joggers, équipement fluo dernier cri exigé, les bikers, ne pas s’étonner s’ils tirent une cariole pour le chien avec casquette et lunettes de soleil, les skateurs (la pratique est née ici il y a 50 ans) en mode écouteurs géants, tablette de chocolat et jean en lambeaux, les marcheurs, mamies au pas vif ou fausses jeunettes testant la tenue de leurs nouveaux implants (la chirurgie esthétique est en Californie d’une parfaite banalité), etc. This is America !
La « Funk Zone » de Santa Barbara
Toujours plus nord, 150 km environ, Santa Barbara rayonne. La route, bordée d’un côté par le Pacifique, de l’autre par de vastes champs d’avocatiers, est la moins passionnante de l’itinéraire. Mais quel bonheur de pointer dans une station balnéaire qui sert de refuge aux célébrités de Hollywood. On les comprend. Voici une ville de 100 000 habitants qui cultive son architecture de style pueblo mexicain, vraie et fausse, ainsi qu’une charmante indolence qui ferait croire qu’on y est toujours en vacances. On parle alors d’art de vivre et il est délicieux. Au programme, la mission construite en 1815, l’étonnante Poste Art Déco, la plage, bien entendu, et State Avenue, l’artère centrale sur laquelle tout se passe : le shopping, les bars à musique, le marché des fermiers de la région, celui de nuit aussi, les concerts, les rencontres…
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Puis, ne pas résister à l’appel de la « Funk Zone ». Ce quartier est né d’un concept malin, pensé par les viticulteurs dont les domaines s’éparpillent sur les collines qui dominent la ville. Plutôt que d’obliger les amateurs à parcourir des centaines de kilomètres pour en visiter quelques-uns, ils ont trouvé plus judicieux de regrouper leurs caves de dégustation en ville. Bingo. Déco inspirée, à qui aura la plus spectaculaire, fauteuils de cuir cabossé, barriques, vins au verre à prix cadeau, ambiance rapidement joyeuse, tout y est. Du coup, les tables branchées et les bars dernier-cri ont suivi et voici une fiesta qui conduit jusqu’au bout de la nuit. Savourer sans modération avant de mettre le cap sur Big Sur, 400 kilomètres plus loin.
Les ponts de Big Sur
Voici l’une des routes mythiques des Etats-Unis. La plus célèbre de Californie en tous cas. Sur 200 kilomètres la One serpente en bord de Pacifique, longeant les forêts de séquoias, de pins et de chênes verts, épousant la moindre crique tapissée de sable blancs ou de rochers aiguisés par mille tempêtes, les colonies de phoques adorent y faire le show. Prière de prendre son temps pour admirer la parade des condors ou des aigles royaux, ainsi que les ponts qui enjambent ces spectacles de vertige. Le plus spectaculaire est le Bixby, jeté en 1932, à 85 mètres au-dessus des tourbillons de l’océan, mille fois retapé pour cause d’incendie, de glissement de terrains, d’éboulement…
Zoé Fidji
La Route 1 est actuellement ouverte après 18 mois de fermeture pour cause de sévères intempéries. Région ultra-protégée, Big Sur n’offre que peu d’hébergements, la réservation est donc indispensable. Comme le plein de la voiture avant d’y entrer. Pas de panique, quelques postes de ravitaillement (Gorda, par exemple) assurent essence, hébergement et restauration. C’est le prix d’un bonheur grandeur nature aux dimensions américaines. Henry Miller vécut ici entre 1944 et 1962 (assez bluffé pour écrire « Voici le visage de la terre telle que le créateur l’a conçue »), bientôt suivi par Jack Kerouac auquel ce décor géant inspira les mantras de la Beat Generation. De quoi méditer durant les 32 kilomètres qui conduisent à Carmel en longeant le Pacifique.
Carmel, chez Clint
Bienvenue à Carmel by the Sea, dire Carmel, une micro-cité de 4 000 âmes. Un confetti de charme et de bien-être, la classe en prime. Une sorte de carte postale du bonheur made in USA. Pour certains, cet archétype fait peur. Pour d’autres, le modèle se révèle enchanteur. Il est vrai que le prix de l’immobilier local, d’immenses villas noyées sous les pins centenaires (il est interdit de couper un arbre), les cyprès et les eucalyptus, réserve les plaisirs de la résidence à ceux qui disposent de plusieurs millions pour s’offrir un toit en cette cachette dont le plus célèbre des habitants n’est autre que Clint Eastwood, militant d’une Amérique propre et ordonnée. Dont acte. Carmel l’est. Ruelles pavées joliment fleuries mais pas un seul numéro (on va chercher son courrier à la Poste) et aucun feu tricolore, une centaine de galeries d’art répertoriées, un marché 100% bio, une multitude de tables gourmandes, autant de bars à vin. Et le plaisir de saluer ceux qu’on croise, sexagénaire en cabriolet rouge, mamie avec ses petits-enfants si bien habillés, belle d’antan promenant un couple de toutous à la bouclette impeccable et au pédigré de star (ici, les animaux domestiques sont vénérés, ils tiennent gamelle dans tous les restaurants), couple savourant la pause au soleil d’un éternel été…
Ludovic Jacome
Le bien-vivre à l’abri de tous les dangers semble être le maître-mot de ce gros village soigné comme un jardin botanique. Magnifique. Ne pas manquer la plage, 2 kilomètres de long, un régal pour observer les baleines bleues qui croisent au large, pas plus que la réserve naturelle de Point Lobos où les oiseaux, les otaries, les lions de mer, les pélicans volant au raz des vagues et les immenses pins parasol partagent la scène. Pour compléter le spectacle, emprunter la Route 17. Elle doit son nom aux 17 miles (25 kilomètres) qui tourbillonnent dans les environs de Carmel, entre villas de milliardaires et côte de dentelles. Points de vue à couper le souffle et frisson garanti lorsque les feux du couchant enflamment l’océan.
San Francisco, la révolutionnaire
Enfin, voici San Francisco, quelque 170 kilomètres plus loin, terme habituel du périple vagabond au fil de la One. Histoire de conclure sur des notes océanes, franchir le Golden Gate Bridge, 2 737 mètres de longueur et 67 de hauteur, parfois au milieu des nuages, avant d’arpenter les allées du marché installé au terminal des ferries qui mènent à Alcatraz. Puis, jouer les touristes du côté de Pier 39 où boutiques et restaurants font vite replonger dans le monde de la consommation vorace.
Camille Lambrecq
Le quartier des mémoires hippies Haight-Ashbury, les rues aussi pentues que des murs, les splendides musées, la faune de Union Square, les bars à musique, les immenses malls, temples de la plastic money, on verra plus tard. Pour l’heure, suivre une route qui sort de la ville, couper le contact dès que pointe une plage ou une crique déserte et contempler. Les infinis de l’océan gris acier jouent avec les collines boisées. San Francisco bruisse à l’écart, épicentre de nos modernes révolutions. Celle, musicale et sexuelle, de la beat generation puis des hippies, celle des identités au drapeau arc-en-ciel, celle de l’informatique (Palo Alto et la Silicon Valley sont à deux pas), celle de l’écologie et de la voiture électrique (l’usine Tesla de Fremont est à une heure du centre-ville), celle d’une autre manière d’imaginer la vie au XXIème siècle… Jusqu’au bout, la One tient ses promesses.
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographie de couverture
LUCIA GRIGGI/VAULT-REA