Récit de voyage
Un cimetière de train, des mines en activité, des cultures surgies d’on ne sait où, disparues on ne sait pourquoi : voici un pays dont les paysages semblent peints pour décorer des films de science-fiction. J’y fis un drôle de voyage, raccord avec ce lieu surréaliste.
Amazonas, le parfum de la forêt
J’y étais pour faire des « photos odorantes », des images que je confierais à mon retour à de grands nez, pour qu’ils en inventent les parfums. Atterrissage sur un site impressionnant ceint de montagnes, la capitale économique la plus haute du monde : La Paz. Vous verrez que les Boliviens adorent, au prix de précisions de langage parfois comiques, mettre en avant leurs records de proximité avec le ciel : stade olympique agréé le plus haut du monde à la Paz, Chungara, le lac commercialement navigable le plus haut du monde, Chacaltaya, la plus haute station de ski au monde...
J’arrive du froid parisien, je veux faire le plein de chaleur avant d’arpenter l’altiplano. Je veux aller vers le plancher des vaches, et je descends la « route de la mort ». Depuis là-haut déjà, la végétation tropicale se voit en contrebas, dense et d’un vert profond alors qu’ici la roche règne. La route serpente, impressionnante, à chaque virage, je serre les fesses, petite montée d’adrénaline de peur de basculer dans le vide. 3000 mètres de dénivelé d’un coup, l’air est chaud, moite et humide, on est dans l’Amazonie. Les parfums, plus retenus sur l’altiplano, éclatent : parfums végétaux gras et généreux, chauds. Je fais mes images en marchant dans la pampa, dans la forêt, en me baladant sur un bateau au fil de l’eau. Je croise des caïmans, des boas, des capibaras, et beaucoup, beaucoup de moustiques. A mon retour je donne ma moisson d’images, et Marie Salamagne crée Amazonas, le parfum de la forêt, où l’on sent la végétation imprégnée d’eau, une eau vivante qui se meut, loin de notre odeur de sous-bois, traversée par des notes fusantes, vives, comme la soudaine apparition d’une fleur ou d’un oiseau coloré.
PIEL DESNUDA, LE PARFUM DE LA PEAU
On m’a dit qu’une légende indigène raconte ceci : lorsque Dieu créa les hommes, il les laissa d’abord trop longtemps dans le four, ils cramèrent un petit peu, ce fut l’homme noir. Puis, par peur de recommencer, il le sortit trop tôt, c’était l’homme blanc. Au troisième coup, bien entraîné, il réussit sa cuisson juste à point, il les sortit pile-poil lorsqu’ils atteignirent la belle couleur tannée qu’arborent les Indiens d’ici. Multiethnique comme tous les pays d’Amérique latine, la Bolivie est l’un des pays où la population indienne est la plus importante, et la constitution bolivienne de 2009 reconnaît 36 langues officielles en plus de l’espagnol : de l’aymara au zamuco, en passant par le guarani et le quechua, mais aussi des langues menacées comme le trinitario parlé par moins de 5 000 personnes d’un groupe ethnique d’Amazonie, ou le leco, langue officielle mais presque éteinte, parlée seulement par quelques vieillards le long de la rivière Mapiri. Ces rencontres font partie du voyage, il y a bien sûr les cholitas aymaras, que l’on croise partout sur l’altiplano, avec leur costume aujourd’hui traditionnel de ce pays, et résultat d’un métissage qui a largement pioché dans le registre des colonisateurs européens : grande jupe « pollera », du même nom que la grande cage où l’on élève les poulets, sept jupons « enaguas »qui lui donnent du volume, châle à dentelles « ahuayo », coordonné à la jupe, coiffure traditionnelle - des nattes interminables encore allongées par la « tula » qui les relie, et pour couronner l’ensemble, un chapeau melon trop petit, bizarrement planté sur la tête, légèrement de guingois. Dans les villages andins, les modes varient, grands costumes noirs, capes en laine multicolore servant tout à la fois de sac et de vêtement, chapeaux cloche, chapeau casque rehaussé de pompons, de fleurs, de paillettes d’argent, qui enserrent ces visages pain d’épice. Et au retour, Daphné Bugey créa sur mes photos « pieldesnuda » un parfum gourmand inspiré de cette couleur, et des aliments traditionnels : miel, tabac, chocolat.
OXIGENO, LE PARFUM DE L’ALTITUDE
Il y a ces roches feues, orange vif, rouge presque sang, et en contrepoint, les paysages en bleu et blanc. Le bleu du lac Titicaca et le bleu du ciel (si haut l’air est si pur qu’on croit pouvoir l’attraper dans ses mains, le bleu du ciel est plus qu’un décor, c’est un élément en soi, un composant des paysages). Le blanc des sommets des Andes, le blanc du salar d’Uyuni, improbable et atypique, infiniment plat, un blanc pur et immaculé, et au milieu, posé comme un Ovni, l’isla de los pescadores recouverte de cactus. Ce sont ces paysages qui ont marqué Daphné Bugey, dont le parfum Oxigeno, frais et aérien, salé, rehaussée d’une pointe d’eau de cactus, traduit la sensation piquante, l’éblouissement, la pureté de l’air de ces incroyables étendues.
LES BONNES RAISONS D’AIMER LA BOLIVIE
Traverser des paysages époustouflants, peut être les plus beaux des Andes : salar d’Uyuni, Laguna Colorada,Vallée de la Lune, Sol de Mañana aux fumerolles et aux affleurements de lave ; admirer, à deux jours d’intervalle, la végétation désertique de très haute montagne et luxuriante de l’Amazonie ; atteindre le lac Titicaca, frontalier avec le Pérou, qui dévoile ici son plus beau visage–baigné de lumières d’un autre monde, des îles aux vestiges précolombiens et à la vie traditionnelle, le village de Copacabana, aux antipodes de son homonyme brésilien ; se plonger dans l’enchevêtrement des histoires et des cultures précolombiennes, le mystère de Tiahuanaco, les sites incas, les musées, la culture coloniale, ses bâtisses, ses églises, à Potosí ou Sucre : observer la culture traditionnelle bien vivante auprès des ethnies de montagne.
Par
Véronique Durruty