La capitale du Colorado est aussi la star américaine de la bière. Ici, on fait mousser la chope depuis 1800 et quelques. De nombreux circuits accompagnés proposent de visiter les micro-brasseries de la ville pour en déguster les créations. Tchin !
Au pays des cow-boys, le saloon a gardé toutes ses vertus. Dames patronnesses et ligues de vertu, sheriffs en Harley pas plus que pasteurs aux versets de miel ne sont parvenus à faire tomber la pression, à empêcher les soirées mousse entre copines, à faire classer la « pint » au rang de péché, même véniel. La menace était pourtant réelle. Certains chercheurs d’or et autres aventuriers du grand ouest prétendaient en effet que selon les lois du ciel, on ne pouvait siffler sa bière qu’à partir de 17 heures, avant d’ajouter, morts de rire : « il doit bien être 17 heures quelque part, non ? »
Dans le Colorado, brasser est une affaire sérieuse. Elle remonte du côté de 1800 quand débarquent les pionniers de la Conquête de l’Ouest. Bien avant que géographes et politiques ne tracent quatre lignes quasi rectilignes, 612 km de longueur, 451 de large, baptisant ainsi le Colorado, 38ème Etat de l’Union, en 1876. Les plages du Pacifique sont encore loin et face aux Rocheuses, une barrière de cinquante et quelques sommets culminant à plus de 4 000 mètres d’altitude (les stations chics d’Aspen, de Vail ou de Telluride n’ont pas encore été inventées), la pause s’impose.
Visit Denver/Adam Larkey
Parmi tous ces tenants d’une vie nouvelle, se trouvent quelques Allemands ainsi que des Belges qui comprennent vite qu’entre halte et soif, il n’y a que les quelques pas qui mènent jusqu’au bar. Les alambics de fortune assurent les réjouissances de la nuit avant qu’une brasserie sérieuse, pas seulement destinée à étancher les soifs du jour, la Tivoli Brewing Company, ouvre ses portes en 1859. Une première. La plus grande des Etats-Unis, la brasserie Coors, nait à Golden un peu plus tard, en 1873, à 25 kilomètres de là. Chaque année désormais, 22 millions de barriques (119 litres chacune) sortent de ses entrepôts.
La Napa de la bière
L’affaire a pris une autre dimension plus récemment, lorsque celle qu’on appelle la « Mile High City » car elle est posée à 1 604 mètres d’altitude, un mile, a choisi de faire rimer ce trait d’histoire avec l’art de vivre qu’elle revendique : ciel clair plus de 300 jours par an, air pur des montagnes voisines, passion sincère pour le vert, plus de 200 parcs et jardins, vélo en ville, VTT sur les pistes d’altitude, pêche à la truite sauvage, marché paysan au point zéro de la ville, Union Station, sa gare emblématique, une merveille construite au début du XXème siècle, bus électriques, hipsters en roller, etc.
En 1988, John Hickenlooper crée Wynkoop, la première micro-brasserie artisanale de LoDo comme on appelle Lower Downtown, le centre historique de Denver. Une belle inspiration puisqu’aujourd’hui, on en dénombre une bonne cinquantaine en ville et 293 dans tout le Colorado, un record ! Voilà qui vaut à la capitale (700 000 habitants) le label de « Napa Valley of Beer ». La conquête de l’or a changé de nature. Au passage, Hickenlooper est devenu maire de Denver avant d’accéder au poste de gouverneur (démocrate) de l’Etat. La bière mène à tout et le bar, ici aussi, demeure l’épicentre vertueux de toute campagne électorale.
Wynkoop est toujours en activité et fait partie de ces adresses qui intègrent une bonne dizaine de circuits suggérés par l’office de tourisme local. On peut, bien entendu, les inventer soi-même. L’avantage des formules officielles est qu’elles sont accompagnées (donc, payantes), organisées (on est attendu à chaque adresse), soignées (dégustations comprises) et transportées (le nombre de consommations n’est pas compté). Belle occasion d’admirer ces estaminets à la (fausse) déco d’époque, murs de briques et piliers de fonte, comptoir sans fin tout de bois, tables de billard ou de baby-foot, concours de fléchettes, excellente musique live, écrans géants retransmettant tous les sports, patios immenses avec tablées de fête, ambiance cadres chics ici, vrais cow-boys là-bas. On en redemande.
En septembre, The Great American Beer Festival
Chaque halte visitée avec guide donne lieu au service de trois à cinq mini-verres des productions de la maison. Les alambics sont souvent à portée de regard pendant que les effluves de houblon titillent déjà le palais. Commençons par la claire, poursuivons avec la rousse ou bien celle à la vanille, que penser de ces notes de café, de cannelle ou de moutarde, préférez-vous celle-ci, noire d’encre ? Récemment, un de ces artisans brasseurs est allé jusqu’à grimper au sommet d’un des pics qui dominent Denver pour en rapporter plusieurs barriques de neige fraîche et produire ainsi la bière qu’il voulait « Initiale, la plus pure du monde ».
Peut-être renouvellera-t-il son exploit pour le présenter au Great American Beer Festival, la plus grande manifestation du genre aux Etats-Unis qui se tient à Denver depuis 35 automnes. Du 20 au 22 septembre 2018, elle réunira 800 brasseurs, on annonce près de 4 000 créations et des dizaines de milliers de visiteurs. Trois jours de fête non-stop comme on les aime en Amérique, avec concerts, défilés, expos, spectacles en tous genres, saucisses a gogo et même quelques centaines d’hectolitres de bière bus avec délectation, sans la moindre modération. A croire que les pendules de Denver indiquent toutes qu’il est 17 heures. Tout pile.
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographie de couverture
VISIT DENVER/ART HEFFRON