C’est en dévalant l’autoroute du Colibri que le kaléidoscope humain du Belize saute aux yeux, et au cœur, reliant les Monts Mayas à la mer des Caraïbes. On y frôle au plus près le véritable trésor de cet ancien repaire de pirates : un foisonnement également bigarré d’humains et d’animaux tapis dans ce recoin encore relax coincé entre deux voisins latins et turbulents, Mexique et Guatemala.
Cette arche de Noé navigue avec un équipage créole et mestizo, descendants des liaisons dangereuses entre colons, forbans, esclaves et peuplades des Antilles. Aldous Huxley disait de l’ancien Honduras britannique: « S’il existe des bouts du monde c’en serait un …perdu sur le chemin de nulle part à nulle part ». Et pourtant d’autres tribus vagabondes y ont trouvé asile. En commençant par les Mayas de retour sur ce qu’ils appelaient « Le chemin vers la mer », après que l’effondrement de leur empire qui naquit sur ces terres les ai ballottés autour des frontières du monde post colombien.
Aujourd’hui ils sont abrités sous des paillottes dans des villages perdus entre grottes sacrées et lacs magiques, timides réminiscences de leur culte évanoui. Au-dessus encore perdu dans les brumes du temps, le colossal site archéologique de Caracol que l’on atteint par des pistes défoncées est en train d’achever son extraction de sa gangue végétale. Les fantômes d’une métropole de 150 000 habitants, véritable Washington de l’empire au VIIème siècle, se promènent encore entre les pyramides, les quadrilatères aux immenses esplanades et les monumentaux observatoires cosmiques.
Plus bas, tels des mirages sur ces terres bronzées, apparaissent les Mennonites, communauté errante à la peau rose et aux yeux bleus, au milieu de pâturages défrichés sur la forêt tropicale. Une terre promise à ceux qui, partis de Hollande, déambulent sur la planète depuis le XVIIe siècle fuyant les pièges sataniques du progrès, rêvant chaque fois que les machines, et l’administration bien-pensante, leur fichent la paix.
Leurs carrioles tirées par des chevaux râblés sont drivées par des colosses blonds en salopette bleue délavée, Ben Hur anabaptistes rentrant des champs. Dans leurs fermes sans électricité s’activent leurs femmes aux tabliers blancs, bas noirs et bonnets. Ils y prospèrent à l’écart du monde, désormais rois des basse-cours et des troupeaux, magnats belizéens du « beurre œufs fromage » et même des yaourts et des crèmes glacées dans un pays qui marchait plutôt aux épices et au rhum.
Francis Ford Coppola a lui aussi trouvé sur ces territoires sa propre « utopie tropicale » pour rescapés d’Hollywood, tel Leonardo di Caprio et ses potes qui l’ont suivi. Il était venu y chercher les décors sauvages du tournage d’ « Apocalypse Now » et a fini par y construire un lodge familial au sein la « Mountain Pine Ridge Forest » - vallons d’abord alpins aux pins aigus incongrus sous ces latitudes, avant de se métamorphoser en peinture du douanier Rousseau où des faucons à la poitrine orange tournoient comme des mini soleils au-dessus des derniers jaguars.
Saisi par le virus de l’hôtellerie, il fait des infidélités au cinéma en partageant Blancaneaux Lodge avec quelques clients. Puis sur la presqu’île de Placencia il a récidivé avec « Turtle Inn » palais balnéaire sous influence balinaise ourlé de sable d’un blanc aveuglant à partager avec les tortues.
A quelques lagons de là, Dangriga est le fief des Garifunas. Ces descendants de rescapés du naufrage d’un navire négrier aux îles Grenadines firent copains-copains, et plus si affinités, avec les populations amérindiennes sous les cocotiers. Ce qui aurait pu être un des plus idylliques métissages caribéens fût bientôt bousculé par les colons bagarreurs, espagnols, français et britanniques, ces derniers se débarrassant de ces peuplades aux peaux irisées en les larguant au milieu de la côte du Belize c’est à dire, en 1802, au milieu de nulle part. Chaque année sans rancune ils célèbrent leur débarquement, dans les lueurs des torches, chamans et danseurs s’adonnant aux sinuosités d’un « punta rock » lascif qui se souvient des rites de fertilité africains.
Au-delà miroitent les flots d’une mer des Caraïbes pleins de prodiges : labyrinthes glauques des mangroves qui se dissolvent dans des eaux presque laiteuses, gigantesque barrière de corail, deuxième au palmarès mondial après l’Australie, « Blue Hole » cathédrale sous-marine aux stalagmites irradiées d’un bleu d’encre et « Shark Alley » promenade pour requins repus et raies planantes batifolant avec des plongeurs tout chamboulés. Tandis que sur les « Cayes », îlots frangés de palmiers, Madonna chante toujours les caresses des vents tièdes de « La Isla Bonita » qui la rappellent vers ces rivages.